Adultère de contrastes
Le choix de donner au film de Takeya Katô le titre de La Mélancolie va sans doute apparaître comme peu évidente à beaucoup de spectateurs qui trouveront, à juste titre, que celui-ci ne saurait...
le 30 mars 2024
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Wataki, femme en foyer sans enfants, n’aime plus son mari, absorbé par son travail et préoccupé par ses relations avec son ex-femme et son fils, dont il doit régulièrement s’occuper… Alors elle a un amant. Jusqu’au jour où celui-ci, au retour d’une escapade en « glamping » avec elle, meurt renversé par une voiture. Alors, « la mélancolie » envahit Wataki, qui doit en outre faire face à un ultimatum de la part de son époux.
Le résumé du scénario de La mélancolie raconte une histoire plus banale que banale, qui pourrait se dérouler à peu près partout sur la planète et qui revêt donc une universalité indiscutable, à défaut d’originalité : il faut savoir que, jusqu’au bout, et jusqu’aux quelques dernières scènes contenant un tout petit peu de tension, La mélancolie est un film qui fuira comme la peste toute originalité. Son réalisateur, Takuya Katô est semble-t-il un homme de théâtre, mais ce n’est certainement pas de « Boulevard », ses histoires de cocufiages ne prêtant à aucune fantaisie. Katô est par contre clairement un grand formaliste, et son film témoigne d’un réel talent en la matière, qui élève régulièrement La mélancolie vers une véritable grâce : format de l’image, sûreté du cadre, juste distance par rapport aux personnages, absence totale de musique, durée parfaite des plans, direction d’acteurs précise… tout est ici proche de la perfection, et peut être la source d’un réel plaisir pour les cinéphiles.
Le problème est ailleurs, et ne réside même pas dans l’aspect convenu de ce qui nous est raconté ici. Non, le problème est dans le choix d’enfermer totalement les péripéties, finalement nombreuses pour une heure et vingt-quatre minutes de film, dans le cadre rigide des convenances strictes de la société japonaise, qui veulent que tout le monde soit poli, respectueux, garde son calme, etc. Ce qui tue dans l’œuf toute émotion, hormis bien sûr l’étonnement que ressent le spectateur occidental – même familier du formidable cinéma nippon – devant plusieurs scènes hallucinantes à force d’être anesthésiées par ces convenances, qui frôlent à de nombreuses reprises l’absurde. Le choix de centrer le film sur un personnage féminin fondamentalement peu engageant de par son apathie permanente (on ne sait pas, du coup, si Mugi Kadowaki est une formidable actrice qui réussit à ne rien faire et ne rien exprimer du tout, ou au contraire un boulet !) aggrave encore le quasi-ridicule de certains passages du film, en particulier autour du « glamping amoureux » ou, pire encore, de l’accident fatal.
On imagine un temps que le propos de Katô est bel et bien là, qu’il s’agit de déplorer le carcan sociétal qui tue l’expression des sentiments – un sujet régulièrement traité dans l’histoire du cinéma japonais -, mais même la montée de tension dans la toute dernière partie du film ne confirme guère cette hypothèse, et nous laisse désemparés devant tant de vacuité lénifiante.
Car le problème fondamental est la démarche de La mélancolie, que l’on se permettra de comparer à celle des films d’Ozu – typiques d’une approche similaire de la « rigueur » inhérente à la société japonaise : le génie d’Ozu était de partir de sujets très spécifiquement et profondément japonais pour nous en révéler progressivement l’universalité. Et faire naître en nous l’empathie, l’émotion. Ce que fait ici Katô est exactement l’inverse, il part d’un sujet totalement universel et l’enferme dans un cadre tellement japonais qu’il nous est impossible à nous de réellement comprendre et partager quoi que ce soit avec les personnages. C’est tout simplement navrant.
[Critique écrite en 2024]
https://www.benzinemag.net/2024/08/19/la-melancolie-de-takuya-kato-glamping-politesse-et-ennui/
Créée
le 19 août 2024
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