La Mère est un film réalisé par Vsevolod Poudovkine avant Les Derniers Jours de Saint-Pétersbourg et Tempête sur l'Asie, les trois étant sortis respectivement en 1926, 1927, et 1928, et formant une sorte de trilogie autour de la révolution d'Octobre (qui avait tout juste une dizaine d'années à l'époque). Premier volet mais dernier des trois que je découvre, à la faveur d'un récit édificateur se plaçant peu de temps avant les événements et adoptant des codes plus canoniques du cinéma soviétique, plus proche en ce sens de certaines œuvres de Dovjenko, Eisenstein, etc. C'est le récit d'une conversion autant que d'un drame familial, et c'est probablement l'épreuve endurée par le fils et la mère éponyme, dans la tradition de l'opposition entre les rouges et les blancs, qui rend le contenu propagandiste aussi éloquent.


On reste toutefois très éloigné du discours classique montrant de grandes figures du bolchevisme solidement ancrées dans leurs convictions comme s'il s'agissait d'un patrimoine génétique inné : le personnage du fils est un ouvrier sans culture politique initiale qui accepte de cacher des armes chez lui par sympathie pour la cause des grévistes, et qui finira emprisonné ; le personnage de la mère, au contraire, sera constamment écartelée entre les positions du fils et du mari, ce dernier ayant été corrompu par les patrons de l'usine afin de s'assurer de son soutien contre la grève. C'est ainsi presque par hasard que le fils s'adonnera à des activités considérées comme subversives par les forces tsaristes et qu'il sera jeté en prison, mais c'est par amour, au terme d'une prise de conscience expéditive légitimant à ses yeux le mouvement de grève, que la mère épousera la cause et deviendra le symbole de la lutte, porte-étendard aux sens propre et figuré face à l'ultime charge de la cavalerie.


Le carburant du message portant la propagande se trouve confiné dans une matrice mélodramatique, une matière longuement travaillée par le tiraillement de la mère, par le potentiel corrupteur des puissants, et bien sûr par l'amour maternel. Étonnamment, on retrouve dans ce film soviétique un hommage fort au cinéma américain à travers une séquence tirée de chez Griffith, la traversée d'un fleuve où Lillian Gish sautait de bloc de glace en bloc de glace dans À travers l'orage (1920), reproduit ici par le fils en pleine évasion de la prison. C'est en tous cas une machine de guerre cinématographico-propagandiste rutilante, de ce point de vue-là dans la plus pure tradition du cinéma soviétique, qui embrasse le cheminement d'une femme appartenant initialement à un terreau politique neutre avant de se dresser en rempart contre l'injustice et contre l'oppression, par le biais de cette farandole d'images marquantes structurées par un montage et un découpage à l'efficacité démentielle.


https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Mere-de-Vsevolod-Poudovkine-1926

Créée

le 26 sept. 2024

Critique lue 29 fois

2 j'aime

Morrinson

Écrit par

Critique lue 29 fois

2

D'autres avis sur La Mère

La Mère
Sasory
7

Critique de La Mère par Sasory

La mère de Poudovkine est, à bien des égards, à la fois un film dans la continuité de Eisenstein mais également son penchant opposé. En effet Poudovkine voulait se détacher de Eisenstein en mettant...

le 9 juil. 2013

6 j'aime

La Mère
Morrinson
7

Et la mère devint rouge

La Mère est un film réalisé par Vsevolod Poudovkine avant Les Derniers Jours de Saint-Pétersbourg et Tempête sur l'Asie, les trois étant sortis respectivement en 1926, 1927, et 1928, et formant une...

le 26 sept. 2024

2 j'aime

La Mère
Serge-mx
7

Adaptation muette

Cette adaptation n'est pas le chef-d'œuvre annoncé postérieurement, mais elle vaut le détour.La musique extradiégétique, rajoutée en 1968, n'apporte rien bien au contraire.Lire : Maxime GORKI, La...

le 2 févr. 2023

1 j'aime

Du même critique

Boyhood
Morrinson
5

Boyhood, chronique d'une désillusion

Ceci n'est pas vraiment une critique, mais je n'ai pas trouvé le bouton "Écrire la chronique d'une désillusion" sur SC. Une question me hante depuis que les lumières se sont rallumées. Comment...

le 20 juil. 2014

144 j'aime

54

Birdman
Morrinson
5

Batman, évidemment

"Birdman", le film sur cet acteur en pleine rédemption à Broadway, des années après la gloire du super-héros qu'il incarnait, n'est pas si mal. Il ose, il expérimente, il questionne, pas toujours...

le 10 janv. 2015

140 j'aime

21

Her
Morrinson
9

Her

Her est un film américain réalisé par Spike Jonze, sorti aux États-Unis en 2013 et prévu en France pour le 19 mars 2014. Plutôt que de définir cette œuvre comme une "comédie de science-fiction", je...

le 8 mars 2014

125 j'aime

11