Un prêtre quitte en barque le village où il officiait, pour rejoindre un gros paquebot qui le mènera à Rome. L'image est évangélique, c'est Jésus saluant la foule. Jésus quittant sa campagne galiléenne pour Jérusalem, lieu de tous les vices. Après avoir célébré une dernière messe pleine de joie où il a insisté sur la fidélité, don Giulio abandonne ce lieu d'innocence pour une terne banlieue romaine.

La messe est finie est le constat sans appel de l'inutilité de l'Eglise dans la société italienne du milieu des années 80. On ne sollicite plus l'institution que pour ses sacrements : soit pour que la fête soit plus belle (baptême, mariage, enterrement, on verra les trois), comme le dit l'un des personnages, pour le folklore donc ; soit pour se racheter une conscience à bon compte, grâce à la très magique absolution que procure la confession ; soit encore pour le gage de respectabilité qu'il représente, comme lorsque l'avocat le presse de témoigner pour son ami d'enfance accusé de terrorisme. Dans tous les cas, il s'agit d'une conception utilitariste, et superficielle, de la religion.

Don Giulio est rétif à tout cela. Il accepte, certes, de prendre en charge les cérémonies et de confesser, mais plus comme un fonctionnaire qui fait son boulot que comme un envoyé de Dieu. D'ailleurs, Nanni Moretti ne montre pas notre homme aux prises avec la question de la foi, comme le faisait Bresson dans Journal d'un curé de campagne. Sa vocation prend plutôt la forme de précepte rigides : on doit se marier, rester fidèle, ne pas avorter. Davantage pour tenter de maintenir à flot une société qui prend eau de toute part que pour renouveler sa vie intérieure. Mais, à l'issue de son parcours, alors que la messe sera dite, c'est bien à la pure joie qu'invitera Don Giulio : et les ouailles de se mettre à danser en couples. Un joli final.

Comme un chemin de croix, le prêtre va être confronté à de nombreuses épreuves.

Venant des siens d'abord. Son père quitte sa mère pour une jeunette. Il n'est pas à blâmer, dit l'épouse quittée, il ne fait qu'aspirer à cette joie qu'exaltera, à la fin du film, Don Giulio. C'est elle, la tentatrice, la coupable : air sans cesse ressassé depuis le péché originel, et qui imprègne toute société encore culturellement religieuse comme c'est le cas en Italie. Son fils est furieux, lui qui prônait avec tant d'insistance la fidélité. Mais il est impuissant.

Sa soeur, non seulement ne veut pas épouser son amoureux Simone, mais elle entend avorter de son enfant. Là, Don Giulio en vient aux mains, menace même de la tuer puis de se tuer lui-même. Il tente de convaincre Simone, ornithologiste engagé qui se préoccupe plus du sort des oiseaux que de la petite graine qu'il a semée. Sans succès.

Sa mère, soumise à l'épreuve de l'adultère, finit par se suicider. Ce n'est pas montré mais on le devine quand son fils lui lance en substance : "pourquoi tu m'as fait ça ?". Encore un dogme puissant de l'Eglise foulé aux pieds. C'est face à sa mère qui ne peut plus lui répondre que Don Giulio prend conscience de sa solitude. La perte de la mère chez Nanni Moretti est un motif récurrent, qui court de film en film.

Ses amis d'enfance ensuite. Le premier, sous l'effet d'un chagrin d'amour, ne veut plus voir personne. Il y a un effet comique à le voir demander à ses proches de ne plus venir, de le laisser tranquille. Il souhaite une vie d'ermite, précisément celle que choisira Don Giulio à la fin du film. Mais pour l'heure, "il n'est pas bon que l'homme soit seul", comme dit la Genèse, et c'est bien la conviction du prêtre. Qui, là encore, échoue à convaincre son ami. Celui-ci lui dévoile l'enfant illégitime qu'il regarde nager à la piscine, sans oser l'approcher. Encore un dogme mis à mal. Mais Don Giulio est touché par l'image de sa mère l'obligeant à sortir du bain.

Le deuxième est en prison pour terrorisme. Il est celui qui n'a pas renoncé à ses idéaux de jeunesse. De nouveau, Don Giulio échoue à l'aider : lorsqu'il le visite, le prisonnier ne veut rien dire de son acte. Et, lors du procès, son ami dans le box des accusés lui lancera violemment qu'il ne sert à rien.

Le troisième veut devenir prêtre comme don Giulio. On le voit comiquement lever la main pour répondre lors des séances de catéchisme au milieu des gamins ! Don Giulio, en proie au doute pour lui-même, l'en dissuade. Ce sera, ironiquement, sa seule réussite, puisque son ami finira par se marier (avec une femme d'au moins 20 ans sa cadette, comme c'est le cas à trois reprises dans le film). Le seul moment où le prêtre est utile en profondeur, c'est... pour empêcher une vocation !

A l'opposé, il y a le prédécesseur de Don Giulio, prêtre défroqué qui fait envie. Une sorte de tentation permanente pour notre héros, tant son bonheur familial est éclatant. Moretti en profite pour glisser une critique sur l'enfant-roi puisque les deux parents sont béats d'admiration devant leur progéniture. Puisque son prédécesseur a fait ce choix, que sa réussite soit à la hauteur : c'est le sens de la scène assez drôle où Don Giulio engueule le couple qui n'est même pas capable de cuisiner un repas correct et qui, de surcroît, se boude à table. L'homme a beau répondre qu'ils ont fait cette nuit "quatre fois l'amour" et que c'était fabuleux, autre tentation agitée devant le nez de l'homme de Dieu, la sainte colère ne quitte pas Don Giulio.

Car celui-ci est humain. Dans une séance de catéchisme, il demande aux enfants ce qui fonde l'humanité de Jésus. Le film nous montre un Don Giulio qui s'emporte facilement, qui n'est pas toujours à ce qu'il fait (la confession de la jeune fille), qui interrompt une conversation pour aller jouer au foot, qui envoie paître, à la librairie, un client qui insiste trop. Mais christique aussi de façon plus héroïque, lorsqu'il suit jusqu'à l'absurde un précepte du Messie, le fameux "tend la joue gauche". Lorsqu'un malotru lui prend sa place de parking, Don Giulio proteste, le type entouré de sa bande le plonge dans la fontaine à proximité en lui maintenant la tête sous l'eau, comme le faisaient les nazis avec leurs prisonniers. Par deux fois, le prêtre revient à la charge. Je n'ai pas vu là des maffieux, comme l'écrit une plume de SC, simplement la loi du plus fort qui prend le dessus dans les grandes villes. Un autre exemple est donné à la sortie du cinéma, où une bande de loulous veut faire la peau à un autre ami de Don Giulio pour son homosexualité. Les deux amis seront sauvés par... Dante, que le prêtre se met à débiter ! Le film ménage souvent de jolies surprises comme celle-ci.

Ainsi du premier match de foot : alors que Don Giulio, qui a été réveillé par un ballon, s'avance menaçant face aux enfants qui reculent, il lance soudain le ballon et se met à jouer avec eux ! Un peu plus tard, dans le feu de l'action, il est mis à terre et plus personne ne se soucie de lui. Une belle allégorie de l'inutilité du prêtre dans la société italienne. D'ailleurs, l'église à laquelle il est affecté apparaît d'abord en ruine. Une fois l'ordre remis, la première scène qu'il célèbre se tient face à un auditoire... vide. Seuls les deux enfants de choeur, comiquement répartis de part et d'autre du prêtre, trompent la solitude de notre homme, qui s'acquitte malgré tout de sa tâche.

Inutile donc : pour soigner le mal-être des gens, il y a à présent les psychologues, ce que fait sa soeur Valentina. Si Don Giulio renoncera à sa vocation pour rejoindre celle, plus envieuse à ses yeux, d'ermite au pôle Nord, ce ne sera pas parce que personne ne le comprend : personne ne cherche à le comprendre car, en tant que prêtre, c'est à lui d'aider autrui. D'où le sentiment de solitude qui l'étreint, et qui l'incitera, à la fin du film, à demander à sa soeur de venir habiter avec lui. L'amour universel auquel il dit croire en début de film, c'est bien joli, encore faut-il qu'il trouve à s'incarner, comme celui de sa mère s'incarnait, de façon si lumineuse, lors d'une promenade à la campagne. Celui de Don Giulio ne trouve nulle part de réceptacle. Là est la vraie raison de son abandon de poste.

Plus de place pour l'homme de Dieu dans une société aussi délabrée, à l'image de tous ces bâtiments défraichis que montre le cinéaste. Un constat amer, bien loin du Petit monde de don Camillo ! Par petites touches, Moretti glisse des allusions, par exemple aux ravages de la médiocre télé, lorsque, chez l'amante de son père, il éteint d'autorité le poste qui reste toute la journée allumée en lâchant un : "ce n'est pas bien". Plutôt qu'un plaidoyer pour ou contre la religion, La messe est finie est une radioscopie de la société italienne par le prisme de la vie quotidienne d'un prêtre. Pour Don Giulio, la seule issue est la fuite, même si le film s'achève sur une note d'espérance, vertu théologale de l'Eglise catholique. La religion, Moretti y reviendra bien des années plus tard, avec une autre réussite, le savoureux Habemus Papam, magnifié par Michel Piccoli.

7,5

Jduvi
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le 11 juin 2022

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