la Mort aux trousses est non seulement un chef-d'oeuvre du cinéma d'espionnage et d'aventure, mais aussi du 7ème art dans son ensemble. C'est un modèle de référence de tous les récits de ce type parce qu'il est l'aboutissement du génie d'Hitchcock en portant à la perfection absolue ce qui lui servit en réalisant Correspondant 17, les 39 marches, Cinquième colonne... Il mélange avec bonheur l'espionnage, le suspense, l'humour, la romance, créant un univers éblouissant dans lequel tous les thèmes qui lui sont chers sont au rendez-vous : la poursuite, la fausse identité, l'humour, la passion de la technique, le héros complètement perdu... de même que James Mason incarne un méchant délicieusement vénéneux, à la séduction ambiguë et à l'élégance britannique propres aux grands criminels hitchcockiens ; Mason a vraiment la grande classe dans ce film, c'est un acteur fabuleux, mais ça on le savait. Eva-Marie Saint est la blonde à la fausse froideur que le Maître affectionnait, et qui possède naturellement un charme voisin de Grace Kelly.
Le thème du faux coupable est ici sublimé par un scénario remarquablement charpenté, où Cary Grant y trouve l'un de ses rôles les plus achevés, à la fausse désinvolture et suffisamment charmeur et ahuri pour être tout à la fois un modèle des héros hitchcockiens et un personnage proche de ses rôles légers vus dans ses multiples comédies. Il se trouve pris entre des espions d'une puissance étrangère qui le prennent pour un autre, la police qui le prend pour un meurtrier, et la CIA qui voit l'occasion de donner une réalité à un agent fictif du nom de George Kaplan, alors que lui n'aspire qu'à être Roger Thornhill, paisible publicitaire newyorkais.
Le film se transforme en une vertigineuse poursuite émaillée de scènes d'anthologie rythmées par la musique nerveuse de Bernard Herrmann, telle l'inoubliable séquence du champ de maïs où le héros est poursuivi par un avion : cette séquence est longue car Hitchcock veut démonter le mécanisme classique du type qui attend de nuit dans une rue entourée d'abris ; ici il n'y a rien, aucun endroit où se cacher, rien que l'horizon d'un champ de céréales qui s'étend à perte de vue, et en plein jour, Thornhill-Kaplan attend à la descente d'un bus un ennemi qui ne se présente que sous la forme d'un avion. De cette façon, le réalisateur veut aussi donner au spectateur la sensation qu'un danger potentiel peut venir de n'importe où. D'autres scènes célèbres marquent ce film, comme celle du meurtre à l' ONU, celle de la vente aux enchères, celle du train où la blonde inconnue fait des avances équivoques à Thornhill (bien que dissimulées par ce roublard d'Hitchcock pour éviter la censure)... et puis bien sûr l'apothéose sur les énormes visages sculptés du Mont Rushmore, jusqu'au plan final enchainé du train rentrant dans un tunnel (encore une allusion sexuelle d'Hitchcock "son final le plus impertinent" comme il disait à François Truffaut).
Voici donc un film où le maître s'est encore surpassé en se jouant avec virtuosité de la sagacité du spectateur, en le menant sur de fausses pistes, sur un rythme haletant, bref un film étincelant qui reflète le pur génie de son auteur.