Après avoir débattu du style de Paul Greengrass et principalement de la shaky cam avec un collègue Allocinéen et membre de SC (merci encore une fois Ghyom pour ce débat constructif), j'ai constaté que nous n'avions pas les mêmes attentes sur l'utilisation de cette technique pour des scènes précises et par conséquent nos avis divergent sur le ressenti de ces passages.
Ce texte aura pour but non pas d'analyser un film dans son ensemble comme je l'avais fait pour Shutter Island ou Enemy, mais de prendre une scène d'un film pour tenter de la décrypter et ainsi exposer mon sentiment sur ce passage précis.
Aujourd'hui, c'est donc le second opus de la trilogie Jason Bourne, La mort dans la peau qui passe sur le billard.
Voici la séquence dont il est question : https://www.youtube.com/watch?v=lcBXS202mQ4
Nos points de divergence concernant cette scène ne tiennent pas sur les intentions de réalisation, mais sur le résultat final qui pour ma part ne m'inspire pas un bon travail de mise en scène.
Je pense que l'on sera tous d'accord pour dire qu'en utilisant le procédé de la shaky cam, Paul Greengrass voulait donner à son spectateur un sentiment d'immersion, d'intensité et une rapidité d'exécution et de puissance à la scène qui oppose Jason Bourne à son adversaire. Cependant, je ne ressens ni immersion, ni intensité, car je ne crois tout simplement pas à ce que je vois à l'écran. Et cela a cause de trois éléments principaux que sont la shaky cam, le montage et la position de la caméra. Je vais donc essayer d'expliquer mon point de vue à partir de ces trois points.
1. La position de la caméra
Lorsqu'un passage impliquant une lutte au corps-à-corps est mis en scène, afin d'avoir une visibilité optimum pour que le spectateur puisse l'apprécier, celui-ci est filmé en général en plan large. Paul Greengrass qui veut donc un rendu immersif, décide, caméra à l'épaule de se rapprocher au maximum des combattants pour nous plonger au cœur de l'action. Mon problème étant que pendant environ les 1 minutes 30 que durent le combat, celle-ci est constamment sur ces personnages et ne les lâche jamais. Une variation dans la façon de filmer l'action n'aurait à mon sens rien perdu à reculer à certains moments sa caméra, sans pour autant faire absolument du grand-angle, mais suffisamment pour que l'on puisse voir ce que font les deux adversaires (le premier coup porté que l'on voit dans la vidéo à 0:02 seconde, à la première vision à vitesse réelle, je n'étais pas certain que ça soit un coup de tête). Egalement pour observer la décomposition du mouvement notamment lorsqu'un coup de pied est donné (0.42 seconde). Une variété dans le positionnement de la caméra aurait donc permis de conserver le rythme et l'immersion souhaités par le réalisateur, tout en donnant au spectateur l'opportunité d'observer dans de bonnes conditions ce qu'il regarde.
2. La Shaky Cam
Afin de continuer à donner cette impression d'immersion, mais aussi d'intensité et de puissance dans les enchaînements effectués, Paul Greengrass va utiliser le procédé de la shaky cam qui consiste à rendre l'image volontairement instable, la caméra est comme secouée, ce qui peut donner une sensation désagréable.
Cette technique en général ne me dérange pas, elle est très bien utilisée dans la scène d'introduction d'Il faut sauver le Soldat Ryan ou la shaky cam était combinée à une vue subjective, ce qui rendait l'immersion totale. Elle est aussi tout aussi bien exploitée dans La mort dans la peau, notamment dans les scènes de courses poursuite par exemple, là ou j'ai un énorme problème, c'est dans les scènes de combat. Lors de ces moments, je trouve le résultat tout bonnement indigeste, et le rendu n'est selon moi pas à la hauteur des intentions de départ. Ce procédé devient contre-productif par rapport au travail du chorégraphe qui a pris le temps de monter la chorégraphie et l'enseigner à Matt Damon, mais aussi au travail de préparation de l'acteur qui d'après mes recherches s'est entraîné pendant des mois en pratiquant plusieurs arts martiaux pour être au point. De ce fait, l'action n'est pas pleinement visible ni tout le temps lisible, on perçoit, cependant on ne voit pas tout. Encore une fois l'exemple du premier coup dans la vidéo illustre parfaitement mon propos, malgré tout il y en a d'autre (0.39 seconde). Toutefois, j'accorde que la shaky cam ne pose aucun souci pour se repérer dans l'espace.
3. Le montage
Le metteur en scène décide de découper au maximum l'action pour donner l'illusion de rapidité dans l'exécution du mouvement et des enchaînements. Lors de cette scène, le découpage est utilisé énormément de fois, en tentant de les compter, j'en suis arrivé à presque une quarantaine de cut pour une confrontation qui dure 1 minute et 48 secondes ! Ce qui est à mon goût beaucoup trop. Dans le cas qui nous intéresse, le découpage est essentiellement utilisé pour le champ contre champ, mais aussi pour le mouvement. Et là encore ça pose un problème à votre serviteur, car en décidant de couper à certains moments les mouvements en deux (0.02 ; 0.08 ; 0.37 seconde), le réalisateur réduit considérablement la puissance et l'impacte visuel que peuvent avoir les coups portés et par conséquent l'effet que lui-même recherche.
Conclusion
Je ne remets pas toute la responsabilité de cette séquence sur la shaky cam, les trois points que j'ai abordé sont à part égale responsable de ce que je trouve désastreux dans ce passage, car finalement, la caméra occupe trop le champ d'action. On peut y ajouter aussi un désir personnel et une exigence de vouloir voir un combat proprement sans effet de style, surement parce que j'ai été en parti nourri aux films de genre art martiaux et je veux bien concevoir que mon esprit se ferme à la vue d'une autre méthode pour mettre en avant des combats qui font appel à une expression corporelle intense. Pourtant, Matt Damon de par sa préparation physique était apte a relever haut la main le défi, sans que sa performance soit amputée par des cut et des mouvements de caméra instables.
L'un des composants scénaristiques du personnage de Jason Bourne, de par son statut d'ex agent, est d'avoir une maîtrise des arts martiaux. Lorsque le film décide d'inclure des séquences de combat et de mettre en avant cette faculté qui fait partie de son identité (la quête identitaire est l'une des thématiques de la trilogie), il se doit de la mettre correctement en scène afin que les spectateurs puissent observer de façon optimale cette capacité ainsi que le travail de chorégraphie et de préparation qui a été mis en place en amont pour ces moments.
Alors, quand je regarde ce film et que je tombe sur cette scène, la crédibilité du personnage en prend un coup, car je vois la supercherie et la première pensée qui me vient, c'est que le réalisateur a fait preuve de fainéantise en ne voulant pas mettre en place une chorégraphie adaptée et faire subir un entraînement à ses acteurs, sentiment qui s'avère faux.
Maintenant que j'ai fait ce travail d'analyse et après réflexion, je me pose la question (et à vous par la même occasion) si un plan-séquence n'avait finalement pas été plus judicieux à cette situation ? Même si c'est une technique complexe, elle permet d'être en immersion tout évitant les cuts et ainsi la camera se serait subtilement effacée pour laisser la place au travail des acteurs.