Mon entrée dans la filmo de Cristi Puiu ne s'est pas faite de la meilleure manière avec un Aurora qui m'a constamment plombé par son rythme d'une belle lourdeur. Pour ne rien arranger, ce n'est même pas que le film durait 1h40 mais quasi 3h. Ma politique est de ne jamais me faire un avis sur un réalisateur avec un seul film. Bon, entre nous, je ne cache pas avoir eu une pointe d'anxiété lorsque j'ai démarré La Mort de Dante Lazarescu qui peut s'enorgueillir d'une réputation des plus flatteuses.
Et finalement, comme un certain nombre de bonhommes avant lui, Puiu m'a superbement surpris car je n'en attendais pas grand chose. Et c'est ce que j'aime le plus en tant que passionné (je n'ose dire cinéphile) : ne pas soupçonner le potentiel d'une oeuvre pour me prendre une jolie claque. L'histoire des plus simplistes est toutefois d'une redoutable efficacité. On est amené à suivre le calvaire d'une nuit de Monsieur Lazarescu pris lors d'une soirée de nausées plus fréquentes, sérieuses qu'en temps normal et sanguinolentes, suivi de maux de tête. Véritable épave sur pattes, c'est un alcoolique invétéré et fumeur de surcroît qui a déjà eu de jolis problèmes de santé par le passé mais qui, incapable de faire preuve de la moindre once de détermination et de volonté, n'a su se défaire de ses mauvaises habitudes. Tout du moins boire quotidiennement car l'alcool, c'est quand même délicieux quand ce n'est pas du premier prix.
D'abord sous la bonne garde de voisins généreux, l'appel des secours se fait de plus en plus sérieux et Dante verra alors son corps balloté entre hôpitaux. Puiu va évincer un monde médical représenté comme crapuleux. Médecins hautains, odieux et sans aucun respect pour les patients mais aussi pour le personnel moins qualifié. Bafouant le serment d'Hippocrate, ils en arrivent également, internes compris, à dénigrer l'ambulancière, soit la seule personne à se soucier de Dante, seul au monde, en mère inespérée. Pour ne rien arranger, les hôpitaux roumains sont relativement vétustes et très vite débordés pour peu qu'il y ait une catastrophe de faible ampleur en terme de morts et de blessés. Un accident de car : 11 morts et 29 blessés graves (dans mes souvenirs) et c'est la débandade dans, quand même, 3 hôpitaux qui ne sont plus en mesure d'offrir un suivi correct à ceux qui ne se trouvaient pas au mauvais endroit au mauvais moment.
Et tant qu'à faire, nous ne noterons aucune réelle communication entre hôpitaux pour s'organiser. Manque d'infrastructures et de personnel ? Cette hypothèse semble bien fondée. Dante, l'ambulancière et une ou deux infirmières un peu maltraitées par les mots apparaissent alors comme les seules lumières d'humanité dans ces fourmilières dont on prierait Ciel et Terre pour ne jamais se retrouver dans de pareils établissements où il s'agit de signer, même quand on se mange un hématome sous-dural avec hypertrophie intracrânienne, pour se faire opérer afin que le médecin puisse être protégé en cas d'accident. Dante devenant de plus en plus un légume, qu'est-ce que ça peut foutre ? La Mort de Dante Lazarescu, c'est l'impuissance de citoyens envers un monde médical qui ne les respecte pas, alors que leur première fonction est de prendre soin d'eux.
La mise en scène purement amateur est toute indiquée pour retranscrire le cinéma-vérité même que ne montre pas les caméras officielles. On en vient à s'attacher au personnage principal mais aussi aux protagonistes HUMAINS majeurs. Et surtout, il y a un rythme diablement prenant, contrairement à Aurora, qui a fait que je n'ai pas vu le temps passer. En regardant l'heure, j'ai pu voir qu'il ne restait que 10 minutes avant la clôture et ce malgré les 2h27. En conclusion, on tient là un incontournable du cinéma roumain. Tout simplement.