Glasgow, dans un "futur" indéterminé : on lance un nouveau show télévisé qui consiste à filmer les dernières semaines d'agonie d'un participant malade, dont le consentement est obtenu à coups de dollars.

A l'aide de caméras greffées à la place des yeux, Roddy (Harvey Keitel) est à lui seul le dispositif d'enregistrement relié à la station de télévision qui monte et diffuse en direct ; il accompagnera dans sa fuite pour échapper aux caméras, Katherine (Romy Schneider), celle à qui un médecin complice a annoncé une maladie à son stade terminal.


Réalisée en 1979, une oeuvre parfaitement prophétique qui - avec plus de 30 ans d'avance, donnait à voir toute l'immoralité d'une télé-réalité encore à venir, le cynisme de ceux dont c'est le fond de commerce et l'intérêt morbide des spectateurs.

A l'heure où la frontière entre vie privée et publique s'amenuise avec le consentement béat de tous, où l'information-spectacle n'hésite pas à livrer mort et souffrance en pâture au public, où les caméras sont partout, autant dire que la science-fiction de Tavernier - désormais caduque - était prémonitoire d'une certaine dérive sociale des médias et de nos actuels moyens de communication.


Spectateurs friands de dystopies tape-à-l'oeil, ne vous attendez pas à du rutilant : Tavernier n'est pas réalisateur à se compromettre dans la dystopie-spectacle, exit donc tout attirail futuriste, aucun effet spécial tapageur en vue ; la sobriété est ici de mise, le propos, essentiellement philosophique (presque un film bergmanien - cf. la présence de l'acteur Max Von Sydow). Les seuls artefacts de mise en scène sont un cinémascope et une photographie magnifiques qui illustrent le parcours symbolique effectué par les deux personnages principaux en fuite d'abord à travers des décors urbains et industriels spectraux, puis dans la campagne écossaise verdoyante.

Seul bémol : le rythme du film se dilate dans de longues plages dialoguées qui rendent excessivement compte - à mon sens - des états d'âme des personnages.

La mise en scène classieuse, l'interprétation déchirante de Romy Schneider, et celle - totalement habitée - de Harvey Keitel portent néanmoins le film à un haut niveau de qualité.


A voir pour : Harvey Keitel terrorisé par l'absence de lumière qui le rend aveugle ; une société où les romans sont écrits par des intelligences artificielles secondées par l'homme (coucou "Chat-toutpété" !).


[Extrait d'un dialogue entre l'héroïne et un journaliste d'une chaîne de télévision à spectacle]

- Vous êtes sur le point d'être célèbre !

- Célèbre ? Pour quelle raison ?

- On en a besoin

- De quoi ? De ragots ?

- De tragédie, Mme Mortenhoe... D'approcher un mourant... Il y a une gloire un peu triste à mourir comme avant, pas dans un accident ou à la guerre, les spectateurs en ont par-dessus la tête... Mais de la façon dont ça vous arrive... Nous avons soif d'authenticité [...] Et puis vous seriez payée !

- On me paie pour mourir en public ?

- Pour mourir jeune en public

- Désolée, je préfère mourir pauvre en privé...

Sycorax
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le 27 nov. 2024

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