Touching the Void est le titre des deux œuvres relatant directement la descente malheureuse qui a rendu célèbre le Siula Grande. Cette montagne des Andes péruviennes (sommet à 6344 mètres) a été le théâtre d'une escalade catastrophique en 1985. Joe Simpson et Simon Yates y ont frôlé la mort lors du retour. Le premier a passé quatre jours au fond d'une crevasse puis à ramper le long du glacier. Il publie trois ans plus tard son témoignage (Touching the Void), traduit en français en 2004 à l'occasion de la sortie de l'adaptation sur grand écran.
Pour les deux survivants ce film est une occasion de se justifier. Leur aventure est une 'légende' et un objet de controverse chez les alpinistes, très critiques du geste de Simon Yates, qui a pourtant probablement sauvées leurs vies à tous les deux. Pour le spectateur, l'intérêt principal est de découvrir l'illustration d'une anecdote extraordinaire. Il y aura assez de détails et d'explications pour satisfaire les spécialistes. La reconstitution est mélangée avec des entrevues, le film en tire les bénéfices du direct et du recul (le second assurant l'apaisement). Les trois protagonistes, soit les deux alpinistes et leur guide, s'expriment de manière précise et synthétique. Le langage émotionnel semble inhabituel chez eux, mais ils ont eu le temps d'explorer et mettre en forme cette partie-là. En résulte des commentaires apparemment sincères et parfois crus. Les pensées obscures de l'un, les moments de faiblesse de l'autre, nous sont confiés, autant que possible et à la limite de l'admissible. Il s'est agit d'assumer ou refréner ses tentations égoïstes, ses préférences odieuses.
À la prise de contact, on peut avoir la crainte du vulgaire documentaire à sensation ou du racolage de poubelle télévisuelle. La VF assez grossière, aux voix 'enveloppantes', encourage ces soupçons. Mais le récit fonctionne grâce à ce goût de la franchise et de la simplicité. Son succès ne tient pas tant aux effets 'dramatiques' ou aux grands mots, ni dans les cascades auxquelles il ne laisse aucune place, mais bien dans le compte-rendu des états physiques et mentaux. Il n'y a pas d’héroïsme, plutôt des gens qui ont voulu du bigger-than-life, l'ont, doivent aller au bout. L'obstination passe de seconde nature à nécessité. Les deux hommes trouvent des astuces spontanées, se dépassent, oublient de réfléchir, de se laisser accabler – ils n'ont rien d'autre à faire et c'est si vrai que 'craquer' ne peut s'autoriser ; la volonté n'est plus commandée ou instrumentalisée, la sélection et l'adaptation dirigent, le reste (corps y compris) suit.
Et quand la menace de la mort ou de la souffrance vive use l'esprit, arrive à le vaincre, la néantisation avance ses pions. Sans nécessairement provoquer d'angoisse. Les deux hommes le formulent, surtout Joe qui a flirté avec le grand saut pendant plusieurs journées ; mais comme pour se rétracter ou se protéger, il jettent des « c'est bizarre » à la fin de phrases trop graves, simples et profondes, embarrassantes pour ça. En fin de métrage et de calvaire pour Joe surgissent des moments proches du délire, avec des fixations ou parasites bizarres, comme cet air insignifiant (de Boney M) qui prend une place disproportionnée. Sur la longueur, avec ou sans lucidité, une autre sensation aberrante aliène le sujet (ou peut-être le déleste) : l'oubli total de soi.
Cette Mort Suspendue reste peut-être compatible avec la programmation 'doc RMC' ou autre robinet à show exotique et crypto-survivaliste ; si c'est le cas, elle figurera parmi son élite. Last King of Scotland deux ans plus tard (sur le despote Amin Dada) confirmera les talents de mise en scène de Kevin MacDonald, avec là encore un sujet 'choc' issu de faits réels et davantage de marge pour le romantisme et la paranoïa. Quelques accompagnements musicaux sont un peu lourds, trop typiques, mais la composition est élégante, le débit posé et approprié. Pour une approche plus colorée et plus proche du véritable bis, préférez 127 heures de Danny Boyle.
https://zogarok.wordpress.com