Ça commence par une escroquerie fomentée par la Princesse Elfe. Tu aimes les films d’alpinisme ? Ben oui, j’adore ! Moi qui ai le vertige, j’ai dévoré Premier de Cordée, Tragédie à l’Everest de Jon Krakauer, et j’aime le décrié mais pourtant très bon Cliffhanger, le thriller montagno-terroriste de Stallone…
Tiens, me dit-elle, voici La Mort Suspendue. Tu m’en diras des nouvelles ! J’insère le DVD dans le lecteur et là, horreur : ce n’est pas une fiction, mais un horrible docudrama.
Un docudrama, vous voyez ce que c’est ? Un mélange d’interviews face caméra sur fond noir chichiteux, des reconstitutions minables, vaguement dialoguées, et surlignées au stabilo par une voix off qui est censée vous faire comprendre les enjeux terribles auxquels les personnages sont confrontés.
Mais bon, j’ai confiance dans la Princesse Elfe et j’ai decider de poursuivre mon chemin en direction du Siula Grande, un petit sommet andin de 6 344m.
Car c’est à lui que s’attaquent Joe Simpson et Simon Yates, 25 ans ; l’ascension d’une voie inédite, sur l’un des sommets les plus difficiles de la Cordillère des Andes. Et ils y arrivent, au bout de deux jours d’efforts.
C’est en redescendant que se noue le drame. Joe se brise une jambe. Au prix d’immenses efforts, les deux montagnards britanniques décident de poursuivre leur descente en glissant. Mais perdus dans le brouillard et la tempête, Joe glisse et tombe dans le vide au milieu de la tempête. Il n’est retenu que par sa corde ; lieu commun (cf. Tintin au Tibet) de la tragédie alpinistique : soit on meurt tous les deux, soit on coupe la corde et seul un des deux y passe. Croyant que Joe est déjà mort, Simon Yates coupe la corde. Puis il redescend jusqu’au camp de base au prix d’immenses difficultés.
Mais Joe n’est pas mort. Par chance extraordinaire, il est tombé au fond d’une crevasse qui a amorti sa chute. Impossible de remonter, cependant. Va commencer alors cette odyssée extraordinaire où un homme blessé, affamé, déshydraté, va se traîner sur des kilomètres jusqu’au camp de base, au bout de toutes ses ressources psychologiques et physiques.
Si La Mort Suspendue est un docudrama, alors il est très bien fait. Les reconstitutions sont tellement bluffantes qu’on se demande si les alpinistes acteurs n’ont pas refait l’ascension*.
Mais évidemment, ce sont les témoignages qui emportent le tout. Nos deux british de Sheffield que l’expérience a transformé pour toujours. Mais pas dans une happy end convenue à l’américaine. Dans le Making of qui suit le film, on retrouve nos deux compères obligés de retourner sur les lieux du drame, vingt ans après. Et c’est sûrement la partie la plus passionnante. Si Touching the Void, le film, est électrisant par la force même du drame, le making of est tout à fait passionnant. On a confié une caméra vidéo à Joe, pour tenir une sorte de journal intime. D’abord rigolard, son visage se ferme à l’arrivée au village, puis commence à montrer de l’angoisse pure quand ils arrivent au bord du lac, leur ancien camp de base. Car Joe Simpson est convaincu que ce terrible accident a été une forme de bénédiction pour lui. Une chance incroyable d’avoir réussi à survivre, puis un événement qui a changé sa vie. Apres ses dix opérations de la jambe, il a écrit Touching the Void pour disculper son camarade. Puis d’autres livres, qui lo’ont rendu célèbre. Et si la chance, maintenant que la boucle est bouclée, se vengeait ? Et s’il n’était venu que pour mourir ici, une bonne fois pour toutes ?
Si Joe a toujours soutenu le geste fatal de son compagnon (y’avait-il autre chose à faire ?), Simon, pour sa part, vit – sans l’assumer – sa culpabilité d’être « le mec qui a coupé la corde ». Et d’assener finalement cette révélation peu politiquement correcte : « nous n’avons jamais été amis et nous ne les serons jamais… Nous ne sommes que des compagnons d’escalade »
Ici encore, le festin nu.
*En fait, personne n’a jamais refait cette voie depuis. Le film a été tourné en partie sur place et en partie dans les Alpes.