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A bien y réfléchir, et malgré l’aura du bonhomme, je regarde toujours un Cronenberg avec réticence, car derrière l’efficacité certaine de son imagerie body-horror, genre dans lequel il est vite passé maître, il y a une certaine froideur qui ne me sied guère. J’ai beaucoup plus d’attache à ces films dits “normaux” que sont Eastern Promises et A History of Violence, qu’à ses expérimentaux Shivers, ExistenZ, ou autres Videodrome. Et à mi-chemin entre ces deux catégories se trouve The Fly, œuvre par laquelle j'ai découvert le cinéaste dans mon adolescence. Il était donc temps de lui redonner une chance.
Du remake du film de 1957, il ne reste à priori plus grand chose. Exit le bis un poil ridicule de l’époque, où l’hybridation consiste en un échange de tête et de membres entre la bestiole et l’homme, et place à une transformation progressive, tant physique que psychique. Seth Brundle (Goldblum, convaincant) n’est pas seulement un humain qui se délite, mais devient peu à peu Brundlefly, un insecte qui rêve d’être un homme. Ses aspirations évoluent donc au gré de sa physiologie, passant par une métamorphose de la personnalité du gus. Mais pour mieux signifier celle-ci, quoi de mieux que de lui adjoindre Ronnie (Geena Davis, alors compagne de l’acteur à la ville et à l’écran) pour lui opposer un regard extérieur sur sa déliquescence. Une relation que le script traite comme celle qui lierait une femme à son amant en proie à toute autre maladie mortelle, emprunte d’une envie d’épauler l’être aimé tout en étant à la fois incapable de savoir réagir à cette inéluctable perte, et maladroite dans son empathie mêlée à la fois de pitié et de terreur. Par ce couple, c’est le déni de la situation par Seth et Ronnie qui vient étayer l’horreur.
Mais outre son scénario plutôt bien léché, c’est bien la tonalité employée qui fait le sel du film. Cronenberg et ses équipes savent qu’ils jouent sur une fine ligne entre la terreur et le grand guignolesque qui pourrait tourner au ridicule. Alors les effets se doivent d’être impeccables (ils le sont), l’ambiance immersive (elle l’est), et le script conscient de ses propres limites (il l’est). Le travail de Chris Walas sur les marionnettes et maquillages n’a pas pris une ride, tandis que l’humour pointe subtilement le bout de son nez à travers quelques dialogues (le pragmatisme de Seth qui invente un téléporteur car il est malade en voiture) ou quelques situations graphiquement drôles (la scène du bras de fer). Mais The Fly ne s’empêtre pas dans un second degré préjudiciable, et l’émotion prévaut quand il le faut. Alors que tombe l’oreille du scientifique, qu’en surgit un liquide cradingue, et que Ronnie vient y coller son visage, ce qui paraîtrait comme une farce potache chez un autre devient un élan d’amour aveugle chez le cinéaste canadien.
Une œuvre qui fonctionne toujours aussi bien, véritable travail de funambule sur une toile d’araignée qui ne demanderait qu’à engluer le premier venu pour mieux le faire se vautrer. Mais pas David, pas à cette époque.