L’horreur n’est jamais aussi vibrante que lorsqu’elle s’enracine profondément dans le réel : chez Cronenberg, l’hybridation et la mutation par dérive croissante est une trame bien connue, et La Mouche s’en trouve la parfaite illustration. Dès le générique de départ, qui laisse supposer dans une flou un peu confus un ballet coloré de brins d’ADN avant de révéler une foule mondaine, la confusion et la porosité entre plusieurs angles de vision s’offre à l’écran.
La Mouche est une romance (assez peu convaincante et plutôt datée), un film de science-fiction, une fable sur les dérives de la science et un conte horrifique du plus bel effet. À la rencontre de ces multiples pistes, le personnage joué par Jeff Goldblum qui fanfaronne jusqu’au point de non-retour. Le récit se greffe surtout sur son enthousiasme et la fascination de plus en plus excessive qu’il a face à son pouvoir, jusqu’à l’émergence d’une potentielle race de surhomme qu’il pourrait incarner avec sa compagne, qu’il tient à tout prix à embarquer dans son expérience.
C’est donc lorsque la raison bascule que le film prend tout son sens. Passée la période d’euphorie où le geek scientifique joue au mâle alpha, et occasionnant des scènes de sexe qui sortent de l’ordinaire hollywoodien, il est temps de payer l’addition : schéma faustien on ne peut plus classique, très ironiquement incarné ici par la présence inopportune d’une mouche, micro grain de chair dans l’engrenage qu’on croyait parfaitement huilée.
Si la fable philosophique sur les dérives du savant usant de science sans conscience vers une ruine de l’âme est bien au cœur du récit, c’est en réalité surtout sur la dimension corporelle que Cronenberg va s’attarder, lui qui a toujours été un cinéaste de la matière. La décadence est certes morale, mais elle est avant tout charnelle. Le défi en termes d’effets spéciaux et de taille, et s’inscrit clairement dans les annales en matière analogique, pour les grandes heures du latex, du maquillage, des prothèses et des fluides divers et variés, à la manière des excroissances de chair qu’on trouvait déjà quatre ans plus tôt chez Carpenter dans The Thing. Mais c’est aussi une violence tragique faite à l’intégrité humaine, qui mêle dans un même feu d’artifice sanglant la terreur et la pitié : si La Mouche se distingue d’un film d’horreur de grande consommation, c’est bien par l’empathie développée pour son personnage, qui fragmente autant son enveloppe corporelle qu’il pleure la fin de son humanité.