La Moutarde me monte au nez par Alligator
Nom de Dieu de nom de Dieu ! Je n'avais pas vu ce film depuis une bonne vingtaine d'années et j'ai pris une bonne vieille grosse claque sur le beignet, celle du temps qui passe. Tout ce film me paraît vieillot, que ce soit la vieille voiture de Pierre Richard, ou cette école de filles, ces personnages avec des ballets mal rangés (Claude Piéplu ou Jean Martin) ou que ce soit le regard porté sur la morale. Sur ce dernier point, la récente actualité en France fait rejaillir encore ces vieilles badernes à la moralité mortifère qui de temps en temps viennent dégueuler leur haine du désordre, des lumières, du corps, des homos, de la libre pensée, etc. Donc, en y regardant de plus près, ce film n'est pas si vieux que ça… malheureusement. Malheureusement, on en est encore là... Les vieux cadenas rouillés sont bien difficiles à déglinguer.
Bon, voilà que ça me reprend : à chouiner ainsi sur le sexe des anges, à savoir si ce film a vieilli ou pas. V l’a-t-il pas que je m'enfonce dans le néant total de la critique ! Nom d'une pipe de chameau vermoulu, que voilà un débat totalement stérile et imbécile ! Peut-on revenir à ce film ?
Je me retrouve donc une nouvelle fois devant un de ses mystères qui me laissent pantois, que je n'arrive jamais à comprendre. Ici, il s'agit du mystère Claude Zidi. Je ne comprends pas son cinéma. Je ne parviens pas à faire le lien entre tous ses films. Il n'y a pas à proprement parler de style Claude Zidi, ni même d'univers qui de près ou de loin ferait sens. La plupart de ses films me paraissent franchement mauvais et pourtant, trois ou quatre réussissent à sortir du lot et même me plaisent bien.
Bien entendu, l'explication nostalgique est très attirante alors. Par exemple, avec cette moutarde, cela fonctionne à plein tube ! Une claque du temps qui passe et que j'aime à recevoir… si ce n'est pas un cas de nostalphilie aiguë !
J'ai aimé ce personnage lunaire, totalement irréel, ce corps élastique, ces yeux discrets, souvent étonnés par le monde qui les entoure. Pierre Richard n'est peut-être pas aussi fouillé que dans ses autres films, notamment ceux qu'il a lui-même écrit et réalisé. Mais le scénario qu'il a co-écrit avec Michel Fabre et Claude Zidi lui donne surtout un vaste espace pour exercer cette errance poétique.
Son personnage ne tient pas en place : il lui faut bouger tout le temps, quitte à faire des va-et-viens incessants, gauche-droite, haut-bas ; il monte à la corde, il descend de la corde ; il sort d'une baignoire pour monter sur le toit d'une caravane d'où il redescend pour retomber dans la baignoire ; sa voiture passe, puis repasse à toute berzingue. La seule fois où il stoppe vraiment, c'est quand il se heurte à la belle Jane Birkin.
Cette histoire d'amour paraît peu crédible. Jane Birkin a du mal à me faire oublier Gainsbourg quand elle est dans les bras de Pierre Richard. C'est bête, hein ? Qu'y puis-je ? Mais au moins cet improbable couple libère quelques papillons. La scène dans cette Camargue, toute généreuse dans son horizontalité, libre, pleine de promesses, est rafraîchissante.
Même si l'on ne meurt pas de rire sous les coups de boutoir pas toujours fins des gags physiques qui font le costume de ce film, au moins sommes-nous baignés dans une atmosphère gentiment douce, heureuse. Je crois que c'est ce qui a le plus touché les spectateurs dans le cinéma de Claude Zidi : cette exubérante insouciance. Et qui fait aujourd'hui encore rire les enfants. De "L'inspecteur la bavure" aux "sous-doués", des "Charlots" aux "Ripoux", Claude Zidi a toujours créé des comédies souriantes, souvent empreintes de cette insouciance post-soixante-huitarde. On n'est plus là dans la génération qui a connu la peur et les privations de la guerre ; on n'est pas encore dans celle d'aujourd'hui qui craint de perdre son travail et d'avoir faim. Zidi, c'est la France de l'entre-deux.
Et cette moutarde, comme la plupart de ses autres films, ne semble pas maquiller la réalité, mais possède tellement ce pouvoir de légèreté propre à sa génération qui lui impose sa volonté de sourire avant tout. Alors que dans le parcours de Pierre Richard, dont l'autonomie et la personnalité ne sont plus à démontrer, il y a une part beaucoup plus forte d'incertitude. Derrière le masque du clown, toujours cette récurrente image mélancolique, quasi stéréotype, je sais. Surtout pour Pierre Richard, qui n'a pas l'air neurasthénique. Mais, il n'empêche... plus que le petit prince dans le désert, il se dégage autour d'un regard, d'un silence quelque chose de triste, tout au fond, bien caché chez ce comédien. C'est d'ailleurs sûrement ce qui fait qu'il n'est pas pour le public juste un pantin désarticulé, une coquille vide, mais bel et bien un personnage attachant, qui parvient malgré toutes les emmerdes qui lui tombent dessus à aller de l'avant, à bouger encore et encore et à sourire.
Sur ce film là, avec un récit aussi remuant, échevelé par la bourrasque Jane Birkin ou le mistral, l'association Zidi/Richard se complète bien, alimentant une aventure riche en rebondissements joyeux et finit par emporter l'adhésion. Moments légers et tendres, délicats, aimables, ce film moyen reste pour moi d'une saveur particulière.