Caprices des dieux
Basé sur les textes les plus anciens du Japon, le film marque la millième réalisation des studios de la Toho, mis entre les mains de Hiroshi Inagaki, le maître incontesté, à la fin des années 50,...
le 31 juil. 2023
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Présenté comme une évocation de l'origine du Shintoïsme, religion nippone majeure, La Naissance du Japon, sorti dans son pays d'origine en 1959, conte la genèse mythologique de l'île du Japon et l'histoire d'un prince envoyé sur le front par son père l'empereur pour terrasser ses ennemis et rétablir l'ordre. En chemin, il se confronte à la violence des hommes et développe un code de comportement ainsi que des aspirations pour toute la population vivant sous la coupe de son père.
L'oeuvre sonne comme ces récits épiques emprunts de mythologie que sont L'Odyssée d'Homère (mainte fois adaptée au cinéma), Les Dix Commendements (de Cecil B. Demille). Des histoires de dieux aux humeurs variables, de princes et de guerriers, de méfaits et d'héroïsme, de service, de hiérarchies et d'amours inavouables, d'amour libre même, et de relation père/fils, où les hommes sont entreprenants et les femmes dévouées.
Ceux sont ceci dit des femmes qui semblent le plus aider le prince dans sa quête de paix et de conduite morale. Peut-être un affleurement de ces dualités (masculin/féminin) que l'on retrouve dans plusieurs cultures orientales et proche-orientales antiques.
Quand on pense à un film sur les débuts d'une religion, on s'imagine l'initiation à un culte, la mise en place et l'apprentissage de rituels. Les sources écrites qui ont inspiré le film traitent de tout cela.
Avec La Naissance du Japon, on va plus en profondeur vers le récit de genèse du lieu, brièvement introduit, puis vers la substance, l'essence, le message épuré d'un Shinto débarrassé de l'emprise impériale. Le film a donc ses scènes de mythologie pleine de sagesse. Si un conflit se déclenche, pense à ce qui est plus important que la vengeance et la punition, pense à ce qui essentiellement nous nourrit tous, dont on peut manquer, et à comment le ramener. Et surtout, par l'aptitude commune au rire et à la joie, redonne foi dans les tiens à ceux qui te gouvernent.
Au départ, indépendamment de comment les personnages les utilisent, ceux sont toujours ces derniers qui racontent ces mythes, laissant une distance stricte entre le récit mythologique et l'action dans le monde des humains, ce qui nous permet d'en interroger la nature de récit.
Puis, une fois l'histoire bien avancée, le lien entre les deux mondes devient plus tangible; la magie opère dans le monde des humains, les dieux eux même semblent s'en mêler, même s'ils ne se manifestent que dans les phénomènes naturels. La destination du film, c'est bien là où résident les dieux, et tous les efforts des hommes pour s'entredétruire n'y changeront rien.
En voyant La Naissance du Japon, on peut penser aux fragments d'Empédocle, le philosophe grec présocratique qui disait :
"Le père saisit son fils (...) Ou bien c'est le fils qui saisit son père, des enfants qui prennent leur mère, lui arrachent la vie et se repaissent de sa chair. Ils deviennent parmi les bêtes le lion farouche dans sa tanière de la montagne, ou parmi les arbres le laurier au beau feuillage…".
La légende raconte que le philosophe se jeta dans le volcan l'Etna, comme pour faire un avec l'univers; un acte unificateur aussi bien que purificateur.
De même, quoi qu'ils fassent, quoi que soient leurs méfaits, leurs espoirs, pour servir, pour aimer, ou pour acquérir du pouvoir, les personnages du film semblent être reliés à la nature ou aux dieux qui les avale; il y a là une conception tragique de la religion shinto institutionnelle, où les hommes ne sont pas fiers mais las de tuer pour un prétendu descendant des dieux; et la nature, quand elle n'est pas persécutrice, semble ne répondre qu'aux protagonistes dans une relation privilégiée, qu'ils soient noble rejeton, femmes, ou simple villageois. Le Shinto du film est un Shinto populaire. Il renoue avec une culture qui existait bien avant la maison impériale, du temps où les japonais étaient encore des chasseurs-cueilleurs !
Ce contraste entre les trames des humains et les trames des dieux ou des forces de la nature qui se rejoignent avec toujours plus d'intensité, jusqu'à la scène finale, pourraient avoir été marquant pour le public japonais de 1959, héritier d'une guerre d'expansion humiliante où l'on envoya les fils de la nation à l'abattoir pour la gloire de l'Empire, un peuple victime de la famine, de tremblements de terre dévastateurs ou d'inondations, puis d'une occupation militaire.
Le rejet de la guerre, la recherche du bien-être, et les remords de la population, seront un leitmotiv dans beaucoup de films japonais de la deuxième moitié du XXème siècle. Mais, La Naissance du Japon est un film faussement pessimiste, qui va comme piocher dans le folklore national ce qu'il y a de plus constructif pour dresser avant tout les espoirs à venir.
En ce sens, il dépasse la mythologie, à l'origine plus brutale et à la faveur de l'empereur, pour la réadapter à une époque où les japonais ont besoin de se reconstruire, et s'éloignent, comme le héros du film, de l'empereur et de sa (version de la) religion.
Les effets spéciaux sont de bonne facture pour l'époque mais les chorégraphies de combat laissent souvent à désirer, tout comme le travail du bruiteur. Aux vues des moyens, peut-être que quelque chose de plus artistique, cherchant moins la crédibilité que la symbolique, aurait fait l'affaire.
La caméra est parfois dynamique, comme dans cette scène de chasse où elle court aux cotés du prince armé d'un arc et de flèches. Parfois, rotative, comme dans cette jolie transition entre deux plans où la silhouette d'un personnage commence à apparaitre dans le clair du ciel avant que l'image de l'homme ne s'accompagne du reste du paysage.
Parsemé d'une poésie visuelle, la Naissance du Japon laisse un souvenir plaisant en dépit du monde en autodestruction qu'il décrit. C'était certainement l'effet voulu près de dix ans après le deuxième conflit mondial, et le film apparait comme celui dont le public avait besoin à ce moment là.
Vu d'Occident, où les égos, la culture de l'ambition, de la punition, et les questions d'identité prennent de plus en plus d'importance comparé au bien-être collectif, on peut trouver dans ce film un intérêt similaire, quoique l'effet curatif sera peut-être moins intense, et il faudra probablement se passer du remède de l'humour, celui-ci étant ici dans une mauvaise phase d'usage, ou alors se contenter de l'absurde et de l'art de l'autodérision.
Je mets 2.5 étoiles pour la réalisation, 2.5 pour l'angle historique sur le Japon, 2.5 pour le jeu d'acteurs.
Créée
le 29 juin 2021
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