Quand j’entends parler d’un film où insectes et humains ne font pas bon ménage ça me rappelle de vieux frissons télé : Them!, Quand la Marabunta gronde, Phase IV. Des films où les hommes n'en mènent pas large face aux armadas d'hyménoptères, celles-ci constituant même une menace pour l'humanité.
Ce qu’il y a justement d’intéressant avec les sauterelles de Philippot c’est la passion, au sens exclusif du terme, que Virginie, leur éleveuse, a pour elles. Ainsi, l’œil entomologiste de la caméra nous présente-t-il d'abord ces criquets d'amour sous un jour plutôt sympathique. Ce qui n’a d’ailleurs rien d’étonnant vu que la sauterelle bénéficie contrairement à ses copines l’araignée, la mante religieuse ou la guêpe, d’une réputation exempte de tout reproche, et ce n'est pas Flip qui me contredira. Par conséquent, lorsque ces croqueuses d'herbe verte se mettent à en pincer pour le steak rouge saignant, il y a comme une distorsion du capital sympathie mis en place dans la première partie du film. D'autant que l’éleveuse s’attache à ses protégées à corps perdu alors même qu'elles deviennent de plus en plus monstrueuses. L’illustration parfaite d'un ressort du récit fantastique, confronter le réel à un état d’inquiétante étrangeté.
Côté scénario, la qualité ne suit pas vraiment ces belles intentions. Cela se traduit notamment par des personnages assez conventionnels (l'ado rebelle, le voisin sympa) et quelques grosses ficelles pourtant évitables.
Comme de laisser trainer dans le champ de la caméra les futures "victimes" de nos sauterelles affamées.
En revanche côté mise en scène, le film ne manque pas d’arguments. La montée de la tension par petites touches discrètes rappelle les meilleurs films du genre, le réalisateur se permettant même quelques clins d’œil appuyés à des chefs-d’œuvre comme Shinning ou les Oiseaux. Mais c’est sans doute du côté de la bande sonore que le travail est le plus abouti. La façon dont les stridulations s’amplifient tranquillement pour occuper peu à peu tout le champ de l’espace sonore, à défaut du champ visuel, participent avec efficacité de l’état de tension dans lequel se retrouve le spectateur.
Quant au message, il est également intéressant. Si les fourmis géantes de Them! figuraient dans les années 50 la menace du communisme et les celles de Phase IV l’échec de l’impérialisme, les sauterelles insatiables de la Nuée symbolisent par leur besoin impérieux de se nourrir l’horreur de la prédation économique. Tout comme les inconséquences que celle-ci peut générer. Ainsi, l'éleveuse aux abois devenue apprentie-sorcière - ou docteure Frankenstein - ne semble jamais prendre véritablement conscience du risque majeur qu'elle fait courir à ses proches comme à l'humanité. Et c'est bien la leçon la plus terrifiante de ce film singulier.
7.5/10 +