Le cinéma de genre français commencerait il à se démocratiser et sortir de l'ombre ? En tout cas La Nuée est né d'un appel à projets du CNC pour les films de genre, prouvant une certaine volonté de promouvoir et permettre d'exister des films à priori un peu en marge dans un système de production classique. On peut légitimement penser que le Grave de Julia Ducournau a fait naître un courant de cinéma de genre et d'auteur dans lequel se glisse parfaitement La Nuée, premier film de Just Philippot qui aura même les honneurs d'une sélection cannoise à La Semaine de la Critique.
La Nuée raconte l'histoire de Virginie une mère célibataire qui travaille comme agricultrice dans le domaine de l'élevage peu rentable de sauterelles comestibles. Lorsque Virginie découvre un peu par hasard comment faire enfin fructifier son travail et son élevage, elle se lance alors dans un dangereux jeu contre nature.
La Nuée est finalement un film très français ce qui pourra sans doute agacer celles et ceux qui espéraient découvrir une pure série B horrifique avec un invasion incontrôlable des vilaines petites bestioles. Le film n'a rien à voir avec le registre très bis de l'invasion animale et se concentre avant toutes choses sur le noyau familiale au centre du récit et sur une approche métaphorique et pertinente du travail et du sacrifice d'une agricultrice pour survivre. Alors oui il y-a cette approche du genre un peu distanciée par le biais d'un drame sociale mais le film de Just Philippot est aussi un vrai film fantastique parfaitement maîtrisé avec même des éléments purement horrifiques à l'intérieur. La Nuée parvient même à trouver un équilibre presque parfait entre le drame familiale , la fable sociale et le fantastique pur et dur. Si les tourments, les difficultés et les disputes entre cette mère célibataires et ses deux enfants ne constituent as l'élément le plus fort du long métrage ils n'en demeurent pas moins justes et convaincants grâce notamment à l'interprétation très naturelle et touchante des deux jeunes comédiens Marie Narbonne et Raphäel Romand. La Nuée est également un film qui a du fond et des choses à dire mais qui a surtout l'intelligence de ne jamais appuyer son discours, de ne jamais surligner ses idées et de jouer la carte de la suggestion, du symbole et de la métaphore fantastique. La Nuée parle bel et bien de l'agriculture et du monde paysan d'aujourd'hui, de ces hommes et ces femmes qui se saignent littéralement au travail pour exister , des dérives qui poussent à des productions de plus en plus accrues au service d'intérêts financiers, du mal-être et des suicides dans le monde paysan, d'une certaine hypocrisie écolo-bio qui pousse parfois à des méthodes contre nature ou du regard toujours méprisant de certains envers l'agriculture ... Oui La Nuée parle et évoque bel et bien tous ses sujets mais le film ne cesse de le faire en filigrane et sans déborder de son cadre de film de genre.
Et au delà même de ses aspects de film d'auteur on pourra affirmer tout simplement que La Nuée est un vrai bon film de genre. Le long métrage va faire naître et monter une tension qui va grimper crescendo jusqu'à envahir l'écran comme l'angoissante et insupportable stridulation des sauterelles qui vous mettra les nerfs en pelote , l'occasion d'ailleurs de saluer le formidable sound design du film. Si La Nuée ne joue pas la carte du grand spectacle c'est pour mieux basculer lentement et inexorablement vers une fin plus un poil plus spectaculaire; le film de Just Philippot réserve tout de même quelques séquences assez éprouvantes et douloureuses comme lorsque Virginie retire d'une plaie de son bras des petits morceaux de sauterelles. Le film comporte également quelques belles idées de mise en scène comme lorsque des centaines de sauterelles recouvrent une porte , obstruant lentement la lumière et plongeant les personnages dans une obscurité terrifiante. Tant dans son écriture que dans sa mise en scène et son interprétation La Nuée réussit tout simplement à nous faire croire à son récit et ses personnages. Le fait d'avoir choisit un casting de brillants comédiens dont les visages ne sont pas très connus facilitent également l'identification aux personnages à l'image de Suliane Brahim assez formidable dans le rôle de cette mère courageuse prête à tous les sacrifices.
La Nuée est donc une jolie surprise même si je trouves son final un petit peu décevant. Il faut vraiment que le cinéma de genre hexagonale puisse exister dans toute la diversité des approches et des regards pour continuer de nous livrer de belles réussites comme La Nuée.