Imaginez. Vous vous retrouvez au milieu d'une horde de créatures humanoïdes, pour certaines très humanoïdes, qui veulent votre peau, et vous êtes contraints de vous battre contre eux pour survivre. Ou bien vous perdez votre raison et fuyez ainsi la réalité de manière pacifique, vous condamnant par ce biais à votre propre mort, ou bien vous vous résolvez à vous battre. Dans ce deuxième cas, en admettant que vous survivez, même si vos premières tentatives de vous défendre sont hésitantes, vous finissez par comprendre quels sont les gestes les plus efficaces à appliquer pour vous défaire de vos ennemis. Bientôt, à force de les répéter, ces gestes ne sont plus qu'un mécanisme, une habitude. Les personnes qui réussissent le mieux à les appliquer sont glorifiées, dans leur groupe resserré ou dans les médias. Le but n'est plus de se défendre, mais de neutraliser le plus possible de ces créatures malveillantes. Au début considérées au même titre que les anciens êtres vivants dont elles ont gardé la figure, ces créatures deviennent des monstres, consacrés par les chaînes d'info dans le film, dans la culture dans le vrai monde.
Le film ne remet évidemment pas en question l'usage de la violence envers des créatures surnaturelles qui nous voudraient du mal, mais il interroge les conséquences de la banalisation de la violence. Nous voyons les personnages proprement humains, dont nous suivons les efforts pour survivre, déployer les meilleurs efforts pour coopérer et essayer de s'entendre malgré leurs personnalités discordantes. Mais au fur et à mesure que l'action avance, leurs accrochages se font de plus en plus violents, jusqu'à ce qu'un personnage en tue un autre. Hors de la maison dans laquelle l'action principale se déroule, des secours sont déployés. Ces secours ne sont pas des groupes de médecins disposant de soins à la recherche de survivants à aider, mais des milices armées, aidées par les forces de polices, dont l'objectif est de neutraliser le plus de morts vivants possible. Les journalistes les célèbrent, comptent leurs victimes, les encouragent à conseiller la population alors même que des experts se sont déjà exprimés sur le sujet. Lorsque nous les voyons mettre à mort un être humain, qui avait auparavant survécu aux morts vivants, nous nous demandons s'ils vont s'en rendre compte. Mais leurs ennemis sont bien humanoïdes, et ils doivent s'empresser de les incinérer avant qu'ils se réveillent à nouveau. Le personnage principal, rassuré de trouver un fusil de chasse pour se défendre au début du film, se retrouve ainsi tué, à la fin, d'un coup de fusil de chasse, tiré par quelqu'un qui est pourtant de «son camp». A force de se défendre contre des monstres, les êtres humains du film sont donc devenus des monstres eux-mêmes.
Quant au rôle de ce film dans l'histoire du cinéma d'horreur, nous assistons aux premiers instants du zombie cinématographique. Il n'a pas encore son nom à lui et se retrouve désigné par des périphrases : «mort vivant», «mort qui revient à la vie», etc. La cause de sa genèse telle qu'elle est supposée par les experts présentés dans le film (des radiations venus de Vénus, qui réactivent les cerveaux des personnes mortes) suffirait à discréditer le film s'il venait de sortir. Le zombie n'est pas encore pourvu de son esthétique signature, et est ici très humanoïde. Le premier zombie que nous voyons n'en a que la démarche. D'autres que nous apercevons par la suite ont de timides traces de décompositions. Ils sont silencieux, et ne gémissent pas sourdement comme les zombies actuels. C'est le début de l'écriture d'un mythe, encore balbutiant et loin d'être grandiose. Et comme tous les films d'horreur devenus cultes, les codes qu'il a instauré ont tellement été repris qu'il ne fait plus peur.