Alors que Seules les bêtes, en 2019, proposait un récit choral et labyrinthique, La nuit du 12 fait de la linéarité son principal ressort dramatique : un lieu, un meurtre, une enquête. Rien que de très banal, à la nuance près qu’un carton initial annonce déjà la couleur quant à l’issue des investigations, laissant entendre que le parcours intéressera davantage que la destination.
Ce parcours, c’est, en ouverture, celui d’un jeune homme qui tourne en rond sur une piste où il élance son vélo, et qui annonce avec une ironie froide l’évolution laborieuse de l’enquête qu’il va conduire. Dès le départ, il s’agit d’ôter tout glacis mythologique au polar, par quelques touches abrasives de réalisme (les manques de moyens), des portraits tout en nuance (le trop parfait jeune premier, le bourru attachant…) et une minoration des enjeux (la jeunesse désœuvrée de province) : Dominik Moll délaisse clairement la dynamique classique du thriller.
Le regard sociétal s’y substitue rapidement : le cinéaste s’intéresse davantage à la confrontation des enquêteurs au monde qui les entoure, et la manière dont une institution doit composer avec les basses et opaques couches du réel. C’est la mise au jour d’une certaine jeunesse, probablement au sommet de sa liberté, mais de ce fait incompréhensible pour ceux qui ont passé l’âge. On retrouve ici cette scission entre le monde des adultes et la nouvelle génération qu’on voyait déjà à l’œuvre dans La Vérité de Clouzot ou La fille au bracelet de Stéphane Demoustier, deux films qui situaient cette fracture dans une cour d’assise. Ici, les investigations sont plus nombreuses, et les interrogatoires dessinent le portrait d’une victime banale, indécise, passant d’un garçon à l’autre, et désactivant successivement toutes les cases dans laquelle on aurait pu la contenir. D’abord dirigé du côté de l’humour (on peut penser à la manière dont Bouli Lanners considérait les ados dans* Cette musique ne joue pour personne*), l’incompréhension amusée cède progressivement le pas à l’incrédulité. Cette nuit du 12 est donc aussi, et surtout, celle dans laquelle ne cessent d’avancer des enquêteurs qui s’enfoncent dans un monde où la chair est triste et la violence banalisée. La force émotionnelle du film provient de cette capacité à construire ce sentiment croissant d’impuissance face à ce que l’humanité à de moins reluisant. Nulle découverte, nulle révélation des arcanes d’un monde du crime, ou de frisson d’être initié à ce qui serait caché au commun des mortels : la police, ici, lit le monde à livre ouvert, et confirme un diagnostic établi bien avant elle : « il y a quelque chose qui cloche entre les hommes et les femmes ».
Le discours féministe est certes par instant appuyé pour expliquer que le réel mobile quant au meurtre est tout simplement le sexe de la victime, mais il fait aussi écho à cette volonté, pour la police, de tenter la mise en mots de toutes ces bourbeuses constatations. Le personnage incarné par le très convaincant Bastien Bouillon joue ici un rôle déterminant : en osmose avec une mise en scène minutieuse, il pose sur le théâtre des opérations un regard méticuleux et chirurgical, d’une perfection froide qui fera réagir ses collègues – dont les plus humains, justement, flancheront.
Anti-récit, patinage holistique, La Nuit du 12 assume donc de faire face à l’impasse, au point que ses relances parfois improbables agissent moins comme des tentatives de maintenir l’attention que des balafres supplémentaires : dans un monde où quiconque peut trouver un mobile à l’immolation, la vérité n’est plus qu’un holocauste généralisé, dans lequel victimes et coupables restent indéterminés.
(7.5/10)