Ce film est fascinant à bien des égards. Il y a des expérimentations passionnantes. Jean Renoir tente bien des choses. Il veut reconstituer l'atmosphère simenonienne. Et cette atmosphère est...spéciale.
Des expériences de cinéma
Il a pour cela choisi un carrefour dans le bourg d'Avrainville, dans la campagne parisienne. Les maisons qui le bordent sont idéalement désolées et laides, l'une d'elles comprend un garage. Il y a établi sa troupe qu'il fait tourner dans des décors et des conditions réelles, les faisant dormir à la dure et les réveillant la nuit. Ce sont ces décors réels, ce son réel, qu'il filme, cherchant à les retranscrire au plus près plutôt que de les reconstituer en studio et en post-production. Et il veut que les acteurs éprouvent le même malheur poisseux que les personnages de Simenon.
Les acteurs cherchent le phrasé de leurs personnages drogués. Cela donne un jeu étrange. Leur phrasé est vague, suspendu, avec parfois de longs silences déroutants. Cela ne sonne pas juste...mais après tout, la représentation des drogués ou des psychotiques de nos jours n'est pas plus réaliste, c'est juste une nouvelle représentation...Mais on perd le fil de leurs conversations, qui atteignent un absurde à la Beckett.
C'est aussi par l'image que Jean Renoir tente de reconstituer l'atmosphère simenonienne. Elle est grise, elle est noire, elle est nocturne, elle est brumeuse. Il y a quelques magnifiques images de brouillards. La manière de filmer la course-poursuite est audacieuse. Le réalisateur a tenté de reconstituer la sensation et la réalité de la course-poursuite. Mais elle n'est pas forcément réussie. La photographie est tellement sombre qu'on n'y voit rien. Et l'image de la poursuite est trop chaotique.
C'est aussi la réalité du garage qu'il a tenté d'exprimer. Les acteurs s'y déplacent et y parlent comme le feraient les personnages naturellement, sans considération pour les commodités de la prise de vue et la prise de son. Le protagoniste Maigret évolue en fond de champ, et tout un fatras en avant-plan distrait de son action. On l'entend mal, il y a des bruits parasites. Là aussi, une expérimentation osée, mais au détriment de la qualité technique (le matériel aujourd'hui aurait permis d'allier les deux).
Un travail bâclé
Bref, Jean Renoir a osé beaucoup de choses. Mais le travail est inachevé. Je pensais d'abord que c'était parce qu'il était encore inexpérimenté. Mais non : il tournait depuis 1924, et a sorti La Chienne et Boudu sauvé des eaux quasiment en même temps. D'ailleurs, quand on voit la date de ces films, on comprend. En réalité, il a couru trois lièvres à la fois, et alors qu'il a traité sérieusement les deux autres films, il a fait celui-ci une oeuvre bâclée, entre copains. Le tournage a été express. Les acteurs ne répétaient pas assez, et Pierre Renoir arrivait même ivre sur le plateau. L'intrigue est incohérente. Des bobines ont été perdues, la rendant encore plus incohérente. Il n'a pas parfait ses expérimentations. Un tel génie a donc peu d'excuses pour ses ratés, d'où ma note basse, alors que j'adore les expérimentations cinématographiques et suis habituellement indulgente quand elles ne fonctionnent pas.