Au lieu de fêter la Saint-Valentin comme tout le monde (avec qui, de toute façon ?), Behind se fait des films. Pas grand chose de nouveau sous le soleil, direz-vous. Sans doute, oui, sauf que le masqué essaie de combler les trous béants de sa modeste cinéphilie quand l'occasion lui en est offerte. Car La Nuit du Chasseur, il ne connaissait pas. Enfin si, quand même, de réputation, rassurez-vous.
Ainsi, découvrir un tel classique dans une salle obscure en décuple l'impact, magnifie la beauté de la composition des images de son réalisateur Charles Laughton et plonge dans une sorte de magie que la patine du temps ne saurait éteindre. Malgré un scénario simple et direct, le film convoque de très multiples influences, parfois disparates, mais qui ne lui nuisent jamais, passant d'un gothique que l'on retrouvera par exemple chez Tim Burton, à l'expressionnisme, au conte merveilleux ou encore aux prémices du home invasion movie.
Cette somme offre un écrin de choix pour peindre le personnage d'Harry Powell, qui emprunte les traits séduisants de Robert Mitchum pour donner un masque avenant et respectable à ses funestes motivations. Pétri de contradictions, habile beau parleur, ses mains tatouées parlent cependant pour lui, alors même que son discours charme les communautés dans lesquelles il passe. Il est presque constamment représenté comme la figure du mal. Celle qui surgit de l'ombre quand il descend dans la cave. Celle qui se dessine à l'horizon, sur son cheval, comme s'il s'était échappé d'un western. Celle qui attend sa proie en chantant, le temps d'une étrange mise en parallèle avec un autre personnage, disparaissant en un instant pour réapparaître comme le font certains boogeyman aujourd'hui, au détour d'un film d'horreur. Fascinant, charmeur, trouble, puissant, Robert Mitchum crève littéralement l'écran, s'imposant immédiatement comme l'un des méchants les plus puissants et charismatiques du cinéma.
Face à lui, Laughton met en scène la fin de l'innocence de deux enfants, aux allures de récit initiatique intimement mêlé de paraboles religieuses constantes mais jamais envahissantes. Il commence dans le trauma de l'arrestation du père, qui sera revécu à l'issue d'une scène extrêmement émouvante, pour se prolonger dans la menace constante de la présence du grand méchant loup au sein du logis, puis dans une fuite en forme de communion avec la nature. Ces enfants sont montrés, sous la caméra de Laughton, comme les victimes de la folie des adultes qui les entourent et qui les laissent par négligence, par bêtise ou encore par faiblesse, aux mains du monstre.
C'est par leurs yeux que le réalisateur présente sa vision du monde, comme par un prisme déformé, marqué par l'opposition, en forme de critique sociale des ravages de la crise, entre les campagnes en apparence sereines et les dangers de la ville. Entre le rêve et le cauchemar éveillé qu'ils sont en train de vivre, donnant naissance à un film magnétique, puissant et irrigué de moments de poésie parfois macabre, comme ce superbe et lumineux plan sous-marin, où les cheveux d'une victime de Powell, ainsi que la végétation, sont animés et comme en suspension.
Les derniers mots de La Nuit du Chasseur, réservés à leur bienfaitrice qui abolit, dès 1955, le quatrième mur, portent en eux la promesse d'une stabilité, d'un retour à la normale d'une enfance qui a enduré la perte et l'horreur, mais qui survit malgré tout. Comme une fleur qui aurait percé le béton pour retrouver la lumière du soleil.
Tout cela lors d'un matin de Noël.
Behind_the_Mask, qui demande aux enfants où ils cachent leur argent.