Bureau de Classification des Chefs d'Oeuvre, Bonjour
Bonjour Monsieur Laughton,
Asseyez-vous, nous allons étudier votre dossier pour faire accéder votre film à la catégorie très convoitée des chefs d'oeuvre absolus.
Tout d'abord, c'est votre premier film? Quoi?! Votre premier et votre dernier? Le film a été un four à sa sortie? Permettez-moi de vous dire que cela fait donc de votre filmographie, une filmographie sans erreur!
Et il parle de quoi ce film? Comment ça, de la lutte du bien et du mal? De l'amour, de la haine? Tout cela à l'échelle d'une simple famille américaine? Et derrière cette histoire allégorique c'est aussi du mythe fondateur des Etats-Unis dont vous parlez? De la crise de 1929, aux faux prophètes, en passant par l'évolution des moeurs la jeunesse? Au fond votre film, ce ne serait pas une sorte de conte allégorique, une parabole sur la nature de l'homme? Vaste programme, M. Laughton, vaste programme...
Bon, et au niveau de la mise en scène, vous le sortez d'où cet incroyable noir et blanc? Et puis ces plans géométriques et oniriques, il n'y aurait pas une influence de l'expressionisme allemand Monsieur Laughton? Je dois avouer, qu'au bureau de classification des chefs d'oeuvre on en voit pas souvent des films aussi beaux visuellement. La caméra est légère, les cadres ultra travaillés, et puis ce jeu sur la profondeur de champs! Notamment dans cette scène quasi irréelle de fuite dans la campagne quand en arrière plan avance inéluctablement l'ombre chinoise de Robert Mitchum. C'est du beau boulot M'sieur Laughton! Et puis comment ne pas parler de ce plan sous-marin où les cheveux ondulants d'un corps inanimé font penser à une sirène, ou la dame du lac. Vous êtes un poète de la caméra M'sieur !
Et parlez moi de votre casting. Oui? Evidemment que je connais la devise de Hitchcock selon laquelle, meilleur est le bad guy meilleur est le film. Je dois avouer, que Robert Mitchum en faux prédicateur, violent, menteur, et quasi bestial c'est pas mal comme bad guy! Et quelle idée de génie, ces tatouages sur les paumes de cet homme qui croit agir au nom de Dieu. Vous avez le sens du symbolisme! Quant à Lilian Gish, c'est un beau choix que d'utiliser une vétérante des débuts du cinéma pour jouer cette figure maternelle, pure et angélique.
Alors, vous vouliez faire quoi avec ce film? Hum, une rêverie vous dites? Un songe, un rêve éveillé? Cela explique le symbolisme du film et les plans quasi oniriques. C'est vrai que maintenant que vous le dites, la manière dont vous filmez les animaux et la nature est très originale. On se croirait dans Alice au pays des merveilles!
Avant de prononcer mon verdict, je dois vous demander M'sieur Laughton. Comment avez-vous eu l'idée de ce plan incroyable où les chants de Mitchum (le faux prophète) et Gish (l'ange) se croisent, comme pour se conjurer. Après avoir eu l'idée de génie de montrer la lutte du bien et du mal par des tatouages, vous arrivez maintenant à le montrer par deux chants qui se répondent dans la nuit! Vous êtes doué M'sieur!
Très bien, au vu des éléments en présence je peux donc prononcer mon verdict:
Il apparait que votre film est baroque, bourré de symbolisme, allégorique, rêveur, et sombre. Mais ce que le Bureau a le plus apprécié, c'est que votre film n'est pas prétentieux pour autant, ni endormant. L'histoire du film reste simple et on sent que vous êtes attaché aux personnages. On sent la malice d'un réalisateur, porté par la grace et qui veut délivrer un message d'espoir dans la jeunesse. Et pour tout cela, félicitations!
Vous accédez donc à la catégorie prestigieuse des chefs d'oeuvre absolus. Vous pourrez rejoindre les autres lauréats, messieurs Coppola, Hitchcock, Kubrick et autres à la buvette du bureau de classification des chefs d'oeuvre. Un apéritif dinatoire sera servi à 19h.