Il était une fois dans le Bronx
Autant commencer par une affirmation claire et nette. Une affirmation du genre bien péremptoire qui ne sera pas partagée par tout le monde. Mais je ne crois pas à la critique objective. Alors du haut de ma subjectivité je l'affirme : Julian Casablancas est peut-être le compositeur le plus "cool" de notre époque. Cette "coolitude", c'est celle de la nonchalence rock'n roll et celle de la solitude qui pointe au milieu des tours de la jungle urbaine. Le cool c'est bien plus que de l'esthétique c'est aussi du fond. Avec les Strokes il a crée le groupe ultime. 5 albums, dont 3 indépassables. En 2009 il dégaina un premier effort solo (et un single incroyable "11th Dimensions"). Et 5 ans plus tard, vient le temps du second.
En 2009, Casablancas a été frappé par la foudre 80's. Depuis cette date, il décide d'abandonner la formule Strokes et se lance dans des projets toujours plus inattendus. un premier album solo ultra 80's et country. Puis Angles album lui aussi très marqué par les 80's. Comedown Machine le verra abandonner sa signature vocale de crooner pour opter pour un falsetto un peu étrange. Nous sommes en 2014 et je crois que personne n'a vu venir la nouvelle évolution.
Backing Band (The Voidz) au look de metalleux, Teasers au style VHS, et concerts pas très calibrés au son quasi punk. Casablancas se lance donc dans la violence! Son travail avec Cerebral Ballzy sur Cult Records le présageait : Casablancas aime le punk et le hardcore. Du moins il en aime l'esthétique. Dont acte.
Julian a voulu expérimenter. Tyranny est rempli d'experiences sonores, de structures explosées, de bribes de mélodies éclatées et d'idées tordues. Un morceau comme "Rivers of Brakelights" sur le précédent solo annonçait déjà le son de Tyranny. Même s'il le présente comme un album quasi politique, je pense que la volonté est avant tout musicale : faire exploser la forme, mélanger les genres, frôler le mauvais goût , pour au final faire émerger un son innovant et frais. Et au final, le contrat est rempli!
Tout commence avec "Take Me In Your Army". Rythmique industrielle, synthétiseurs froids et voix métallique. Fantômatique, le morceau est une entrée en matière ténébreuse jusque dans son final tribal. "Crunch Punch" débute par un hook ultra accrocheur (qui rappelle les Français de Stuck In the Sound). Le refrain quant à lui rappelle les grandes heures des Strokes. Le morceau se poursuit ensuit dans des circovolutions noisy avec un solo sans doute joué par un schizophrène en pleine crise. "M.A.D" est un morceau proto hardcore qui frôle les cîmes metal dans un final terrifiant. Arrive alors "Human Sadness" longue plainte de 11minutes qui commence par un sample du Requiem de Mozart. Le morceau étire sa mélodie et brode des experimentations par dessus. Passionant. "Where No Eagles Fly" est un single porté par une basse lancinante. Punk et très catchy après plusieurs écoutes. Father of Electricity réussit la prouesse de faire penser aussi bien à Animal Collective, qu'à The Mars Volta ou Amadou et Mariam. Oui Oui! Johan Von Bronx est une merveille où pointe ici et là le son des Strokes. "Business Dog" est un morceau punk qui tord le cou au riff de Message in a Bottle de Police. Le meilleur moyen de décrire "Xerox" serait d'imaginer un cyborg alcoolique jouant une comptine au piano. "Dare I Care" reprend les experimentations tribales et explose en son centre avec un refrain Casablanquesque en diable. Puis "Nintendo Blood" sonne comme du Prince sous amphétamines avant un "Off To War" particulièrement noisy et minimal.
Au final ce qui ressort de Tyranny c'est son homogéinité et la cohérence du projet. L'album fourmille d'idées, de mélodies et d'experimentations. L'imagerie du groupe prend ici tout son sens. Rusé, Casablancas n'oublie pas la musique pour autant, et derrière le bruit et les experiences se cachent souvent des refrains mémorables. Résolument punk, l'album sonne pourtant très "Casablancas".
Soyons honnêtes, on a eu peur. Les concerts désastreux de cet été ne laissaient pas présager un si bon album. Les discours bullshito-politiques de Julian non plus. Le mulet et la porn-stache du guitariste encore moins. Mais il ne fallait pas sous-estimer la ruse et le génie de ce fourbe de Julian. L'album est courageux car peu commercial, et la plupart des mélodies ici auraient pu être de grands singles radio-friendly si Julian ne les avait pas enfouies sous des tonnes d'experimentations bruitistes. Jules brouille les pistes et réussit son coup.
Sacré lui.