Tyranny, ou le récit d’un après-midi à Bricorama au milieu des années 80
En 2001, Julian avait vingt-trois ans. Un âge où rock’n’roll, alcool, drogue et sexe font bon ménage, un peu moins dès qu’on a une maison, une famille et des bouches à nourrir. A trente balais passés, on « prend un chien, on s’installe hors de la ville et on oublie ses rêves », comme il le chante dans « One way trigger », sur le dernier album des Strokes sorti l’année dernière. Fini l’époque où lui et son groupe étaient vus comme les « sauveurs du rock’n’roll », statut bien trop lourd à assumer pour un jeune groupe débarqué straight from NY. Un costume trop large que Julian a toujours cherché à bazarder, et ce depuis le début: « Y’a des choses plus importantes dans la vie que d’essayer de devenir putain de célèbre » dit-il lors d’une interview en 2001. Même son de cloche en 2014 dans GQ – « Julian Casablancas is done trying to save you ».
Bref, en 2014 Julian se trouve à un croisement, et le desperate houseboy a décidé de monter un groupe de rock dans son garage avec les sales gosses du quartier. Julian Casablancas + The Voidz apparait comme les prémices d’une crise de la quarantaine qui ne dit pas son nom. Le genre de projet foireux qui pointe son nez lorsqu’on n’a pas assez profité de tout ce que promet la légèreté de la jeunesse. Ce qui devait être l’affaire de quelques jours s’est vite transformé en projet plus sérieux, avec un clip ambitieux – ici synonyme de dégueulasse – annonçant l’album de Julian Casablancas + The Voidz: TYRANNY.
C’est souvent à l’ombre du clair-obscur que l’on goûte aux plaisirs. « Human Sadness », voyage long de onze minutes introduit par un sample du requiem de Mozart en ré mineur apparaît comme le calme après la tempête. Des mélodies, une voix plus claire, des paroles plus audibles, baignées d’un halo mélancolique. Ce morceau est peut-être le plus déchirant, le plus sombre de l’album et ironie de l’histoire, sans doute le plus lumineux. La dernière fois que j’avais ressenti ça, c’était pour « One way trigger » sur Comedown Machine des Strokes. Un tube parfait. Par l’intermédiaire de ces onze minutes, il essaie de conquérir cette liberté qu’il avait déjà cherché à conquérir en 2010 avec son premier album solo Phrazes for the young, et ses chansons à rallonge riches de détails que sont les « River of brakelights » ou autres « 4 Chords of the apocalypse ».
On reproche souvent aux artistes établis de finir par cuisiner une soupe mainstream. Casablancas est à l’opposé de cela. Tyranny ressemble presque a un suicide artistique tant le parti pris est grand. Qui a le cran de sortir une chanson de onze minutes, parmi les stars pop-rock, un truc quasi invendable, une musique de niche qui rebutera sans doute la moitié de ses auditeurs, si ce n’est pas plus ? Ca faisait longtemps qu’on ne l’avait pas entendu chanter comme on l’entend à partir de la sixième minute, suivi de ce solo de guitare à la 7e minute – pas loin de rappeler celui sur « Instant crush » dans le dernier album des Daft Punk. Un voyage en forme de requiem post-apocalyptique. Un vrai crève-coeur.
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