Harry Powell, pasteur inhabituel qui traîne les routes à la recherche d'un petit village à hanter de sa bonne parole. Mais surtout à la recherche de veuves influençables et vulnérables qu'il aura tout le loisir de dévaliser avant de froidement les tuer. Cet homme aussi effrayant que charismatique dont les mains sont tatouées de ses fameux Love et Hate pour se rejoindre avec fracas dans un même sentiment, la passion. Mais M. Powell n'aime rien d'autre que l'argent, une passion qui le rend fou de rage et le pousse irrémédiablement à commettre l'irréparable, encore et encore. Le film même tourne autour de cet Amour et de cette Haine, une ambiguïté psychologique sans cesse mise en avant. Powell et ses deux facettes distinctes, tout d'abord celle d'un homme au service de Dieu, dégoûté par les femmes et ne connaissant d'autres plaisirs que celui de l'argent, puis celle du psychopathe pervers, du meurtrier, peut-être même du pédophile.
L'ambiguïté entre le Bien et le Mal est symbolisée tout au long du film, qui se joue surtout à travers des jeux d'ombres de toute beauté (clairement inspirés de l'expressionnisme), les différents personnages sont tantôt placés à la lumière ou dans l'ombre de la pièce, incertain du chemin à prendre. Ainsi, les deux enfants hésiteront tout du long à tenir parole à leur père (et par conséquent ne pas faillir à leur devoir envers Dieu, puisqu'ils ont juré) ou se soulager de ce lourd fardeau. Le Bien est ici suggéré par la religion, les personnages agissent selon ce qu'ils apprennent de Dieu (Powell est persuadé que c'est Dieu qui lui donne de telles missions) tandis que John (le fils) est terrorisé à l'idée de ne pas assouvir le souhait de son défunt père.
Leur manière d'agir est sans cesse remise en question par le fait qu'un possible Paradis les attendrait au bout du compte. La perception du Bien et du Mal reste cependant totalement brouillée par l'image de Powell (incarnant le Mal alors qu'il est censé le dénoncer) et l'innocence des enfants (obligés de subir et de se soumettre à leur destin sans broncher). Finalemen,t le film n'avancerait-il pas l'idée selon laquelle l'objectivité par rapport au Bien et au Mal doit se détacher de toute forme de religion pour accéder à la vérité ? Que la vérité ne se trouverait pas dans les mains de Dieu mais dans la nature humaine, dans l'intuition, la conscience ?
Mais ce film des plus noirs ne s'en tient pas à un questionnement intelligent sur l'intégrité d'un Homme, elle est tout aussi bien servie par une réalisation sublime. Par dessus tout, ce sont les plans qui attire l’œil et touche au cœur, se faisant certainement parmi les plus beaux du cinéma.
Le film entretient également un rapport très fort à la nature (la pêche, la rivière), qui s'illustre à merveille à travers des images relevant presque du conte de fée - l'immense voûte étoilée sous laquelle file la barque des enfants; les plans fixes sur l'horizon où Powell, de côté, arrive sur son cheval blanc; lorsque la barque accoste près de la maison et de la grange, deux blocs noirs au milieu d'un halo de lumière: de véritables tableaux -. Charles Laughton se laisse aller à contempler les animaux, le ciel, le paysage avec une grâce infinie.
Le film est explicitement teinté d'onirisme et de poésie, entraînant avec lui deux enfants dans un conte initiatique digne des plus grandes histoires (la vieille dame à la fin comparera leur voyage à celui de personnages directement sortis de La Bible, comme Moïse). S'il se termine sur une fin heureuse proche du film de Noël (ce que je n'ai pas déploré personnellement), La Nuit du chasseur n'en reste pas moins l'un des films les plus sombres, tristes et insidieusement violents qui soient.