Réalisé en 1955 par Charles Laughton, La nuit du chasseur a marqué l'imaginaire de générations de cinéphiles. Émouvant Quasimodo, dans le film du même nom de William Dieterle, ou terrifiant capitaine Blith dans Les révoltés du Bounty, Charles Laughton est au sommet de sa gloire de comédien lorsqu'il entreprend le tournage de son seul et unique film en tant que réalisateur. A cinquante-six ans, le voilà qui se lance dans l'adaptation d'un roman de David Grubb dont il va tirer une œuvre d'une sidérante beauté, un conte noir dont la poésie singulière fascine toujours autant un demi-siècle plus tard. Marqué par la composition extraordinaire de Robert Mitchum, dans le rôle d'Harry Powell, un personnage d'une absolue noirceur, La nuit du chasseur est l'un des films les plus inclassables du cinéma américain, entre thriller, western et fantastique. L'histoire de ce prédicateur psychopathe, à la poursuite de deux enfants au milieu de la campagne américaine, donne l'occasion à Laughton et à son génial chef opérateur Stanley Cortez (déjà responsable de la photo de Citizen Kane, entre autres) de multiplier les séquences oniriques, voire surréalistes. Impossible d'oublier la silhouette de Mitchum, son chapeau de clergyman et ses phalanges tatouées (LOVE sur la main droite, HATE sur la gauche) ou le corps immergé de Shelley Winters, les cheveux flottant au gré du courant. Ou les deux enfants dérivant au fil de la rivière sous une nuit étoilée de conte de fées; ou encore le cantique à deux voix que chantent Liban Gish (magnifique dans le rôle d'une vieille dame charitable, fée salvatrice dans cet univers d'épouvante) et le terrifiant Mitchum, la proie et le chasseur s'épiant dans la nuit. S'il fut à sa sortie un échec commercial cuisant, coupant court à la carrière de metteur en scène de Laughton, La nuit du chasseur est devenu par la suite le premier film-culte du cinéma américain, à une époque où le terme n'existait pas encore. "Très peu de films, en effet, donnent ce sentiment de se situer à la fois en amont et en aval du cinéma et d'en dominer toute l'évolution", écrivait très justement Serge Daney à propos de ce pur joyau qui continue à briller d'un éclat unique.