Véritable perle de son époque, la Nuit du Chasseur est autant un drame social qu'un thriller. Ou plutôt serait-il plus correct de dire que les deux se mêlent avec subtilité. A travers une magnifique photographie en noir et blanc, et une bande-son qui marque facilement et montre qu'elle a sa place dans le film, Charles Laughton fait de son oeuvre celle de toute une vie, mais aussi de toute une époque. Il exprime à travers cette dernière la problématique de l'Amérique des Années 50, certes, mais d'une certaine façon encore présente aujourd'hui de façon plus subtile, à travers deux grands dangers, qui tout le long de l'histoire piégeront les protagonistes, ces enfants innocents, dans un étau stressant et semblant sans issue.


Le premier de ces dangers est bien sûr l'élément phare de cette pépite du cinéma, le chasseur en personne, ce faux prêcheur parfaitement incarné par Robert Mitchum. Rarement on ne verra un humain aussi idéalement méchant, celui que l'on craint plus que les autres : Le monstre hypocrite. Celui qui se cache derrière le masque de la bonté, de la générosité et de la bienveillance, ici religieuses. On peut toujours craindre un démon qui nous effraie, mais cette peur nous maintient en général loin du danger. Mais celui qui cache sa méchanceté, se sert de l'empathie et la naïveté d'autrui pour mieux les poignarder dans le dos, sont à mes yeux les pires de tous. Et Harry Powell en est l'exemple parfait. Charismatique, aucune femme ne lui résiste, et il rallie tous ceux qu'il souhaite à sa cause par la Foi et la manipulation. Mais dès qu'on se plonge dans son esprit, que la nuit tombe et que le chasseur dégaine le fusil, on prend conscience de sa véritable nature, une nature avide, cruelle et presque lunatique par moments. Prêt à décimer toute une famille pour un peu d'argent, chacune de ses apparitions nocturnes est marquée par le son et les lumières, faisant de ce religieux souriant un véritable monstre, que l'on craint au coin du lit, alors que sa seule particularité physique le démarquant étant ce "Love" et le "Hate". Ces deux mots, plus que de représenter ses croyances qu'il exhibe si fièrement pour impressionner la naïve populace, sont sa façon d'être, la représentation de son déséquilibre psychologique et de ses tendances impulsives. Leur présence donne du sens à chaque action manuelle du prêcheur. Exemple est l'utilisation de sa main "Hate" pour se défouler, mais au final, c'est avec son soi-disant "Love" que cet homme commet le crime irréparable du meurtre. Personnage effrayant, charismatique et intouchable, Harry Powell fait déjà à lui seul presque tout le film.


Et pourtant, ce n'est pas tout. Car il y a un deuxième grand danger pour ces héros orphelins, plus subtil, plus intrinsèque, et il rôde partout autour d'eux : Ce monde d'adultes désabusés et hypocrites qui aide le chasseur à coincer ces enfants dans son piège à loup. A coup de charisme et de bonne parole, tous se laissent manipuler, font une confiance aveugle en leur faux berger, et renient leur propre nature pour ce dernier. Les personnages semblent tous, de prime abord, de confiance, mais au final, entre la mère faisant plus confiance à un inconnu plein de charmes qu'à ses propres enfants, et reniant tout plaisir pour une chasteté religieuse presque malsaine, l'oncle préférant se noyer dans l'alcool que de se mêler aux problèmes (après avoir perdu le contraire), et surtout ces commères du village qui offrent une encore plus grande liberté d'action, presque une horrible complicité à celui qui causera tant de malheurs autour d'elles. Ces mêmes commères, qui après avoir défendu tout du long cette personne les ayant charmées en deux secondes et après l'avoir suivi avec une croyance aveugle, sont les premières à faire les vierges effarouchés quand le chasseur dévoile sa vraie nature et se retrouve jugé pour ses crimes, prônant fièrement leur rébellion pleine d'hypocrisie. Dans ce monde adulte où on ne peut avoir confiance en personne, où tous noient leurs péchés dans le fanatisme, l'alcool et l'avidité, que peuvent faire ces innocents enfants, qui essaient juste de respecter une promesse sincère faite à leur père, et ne peuvent demander de l'aide à quiconque ?


Et pourtant, l'aide arriva. Comme un miracle, comme un berger, une vieille et pieuse femme pleine d'humanité, de mélancolie et de sagesse vint en aide à ces enfants, une étoile au milieu de cette nuit vide et infinie. Véritable exception de cette société détestable, elle est tout ce que les autres adultes auraient du être pour ces enfants, et offre une véritable magie délivrant les protagonistes d'une pression immense. Et de la magie, il y en a éparpillée dans toute l'oeuvre, contrastant avec la noirceur du récit, à travers la scène de la barque, les animaux, cette scène dans la chambre... Des enfants qui subissent et endurent les plus sombres épreuves, grâce aux plus belles des situations. Un véritable conte humain, plein de justesse et de beauté, à ne surtout pas louper.

Red-Camellia
9

Créée

le 15 août 2022

Modifiée

le 24 janv. 2015

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