Dès le générique de début, le ton du film est donné. Une véritable farandole de farces dissimulant un jeu théâtral, à la fois sérieux de par son sujet, et farfelue de par l'extravagance des décors et la folie de certaines situations. Dans un huis clos plein de fantaisies, nos deux protagonistes se livrent une bataille sans merci sous la forme d'un jeu, un jeu de réflexion, de mise en scène, de manipulation et d'anticipation. Les seuls spectateurs de cette bataille, excepté ceux derrière l'écran, sont ces pantins animés, qui observent chaque instant intense et révélateur de leurs yeux objectifs et critiques, auquel Mankiewicz se donne la peine de donner quelques plans éparpillés au milieu des dialogues hauts en couleur de nos personnages. Puis finalement, comme spectateur, ils rient et s'esclaffent devant le ridicule de la situation, ces deux hommes se battant pour leur ego, cherchant à s'humilier dans un jeu de plus en plus macabre et dangereux, jusqu'à l'inévitable issue, pourtant inattendue.

Car oui, si Andrew et Milo s'amusent à jouer avec l'esprit de l'un et de l'autre successivement, il en va de même du réalisateur avec nous. Dans un scénario cohérent et particulièrement minutieux, Mankiewicz joue avec nos nerfs, nous cache des choses, nous en fait croire d'autres, et finalement nous surprend, avec les éléments ayant justement servis à nous diriger sur d'autres pistes. Il arrive également à insérer des personnages extérieurs dans l'histoire et nous les faire connaître comme si nous les avions vu, juste par leur présence dans les dialogues ou des indices indirects (je pense à un certain tableau, en l'occurrence, qui joue lui aussi le rôle de spectateur entre ses deux amants). Plus que par le scénario, Mankiewicz joue avec nous avec sa mise en scène, son ambiance. Passant d'une situation pleine d'hilarité et de détente à une situation pesante et sérieuse en l'espace de quelques dizaines de secondes, nous naviguons entre l'extravagance et le caractère rieur des personnages et leur véritable facette, manipulatrice, sombre, pleine d'intelligence, parfois sans même le voir venir.

De par ce biais, on ne s'ennuie que rarement durant ce film pourtant composé que de dialogues théâtrales dans un cadre cinématographique. Commençant par faire proprement connaissance en parlant de la femme de l'un et la maîtresse de l'autre, ou bien de Léa, ou bien des romans de l'un, ou bien des origines modestes, on prend le temps de nous présenter nos deux joueurs d'une manière légère, patiente et interactive. Puis on rentre soudainement dans le vif du sujet, un jeu commençant par un cambriolage, et prenant peu à peu une tournure extrême. Mais avant ça, le réalisateur prend tout son temps pour amener cette situation, arrivant tout de même à nous passionner avec des situations hautes en couleur.

Si le final achève bien cette oeuvre, on frôle le chef d'oeuvre limité malheureusement par une tiédeur dans le final (pourtant bien réfléchi), et quelques situations embarrassantes (j'ai eu du mal avec la scène des costumes). Malgré cela, le film garde une excellence indéniable par les moyens les plus simples, les dialogues, la fantaisie des décors pourtant réels et un scénario très calculé, alors que nous jaugeons de la qualité grandissante au fil du récit de nos deux personnages, l'un d'eux finissant par perdre subtilement et l'autre par gagner, à un prix difficile.
Red-Camellia
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le 5 nov. 2014

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