Joseph L. Mankiewicz a toujours eu de la suite dans les idées. Après le spectaculaire Cléopâtre, il affirma dans une boutade devenue célèbre qu'il ne tournerait plus qu'avec deux acteurs dans une cabine téléphonique. C'est précisément cette idée qui semble présider au Limier, dont le huis clos a cependant migré vers un cadre plus cinégénique, à savoir un luxueux manoir d'aristocrate britannique. Là-bas, après un prologue lumineux dans un étrange labyrinthe végétal, un auteur de polars et un coiffeur italien vont s'adonner à un duel intellectuel et psychologique sans merci, motivé par un adultère aux airs prononcés de MacGuffin.


Cinéaste du verbe et de l'être, Joseph L. Mankiewicz s'en donne ici à coeur joie : les répliques fusent, l'humour perle et les tirades se chargent au cyanure. En trois actes – un cambriolage monté de toutes pièces, une fausse enquête de police et un meurtre imaginaire –, les deux antihéros, campés par les excellents Laurence Olivier et Michael Caine, ne cesseront d'accorder la primauté au jeu sur la morale, en s'adonnant aux pires humiliations et en s'exposant aux vents de la misanthropie, le tout sur fond d'orgueil alerte et blessé. Les sémillants rivaux, dans une quête sans bornes à la supériorité, se jaugeront à coups d'embardées verbales et de manipulations sournoises, jusqu'à faire échec à toute mansuétude.


« D’une façon ou d’une autre, il faut toujours payer pour entrer », lâchera le millionnaire Andrew à Milo, le jeune arriviste qui entend piétiner ses plates-bandes sentimentales. Le message ne souffre d'aucune ambiguïté : dans ce numéro de duettistes, les haines et ressentiments personnels contreviennent à toutes formes de règles, qu'elles soient juridiques, sociales ou simplement humaines. Le scénariste Anthony Shaffer fait du « jeu » sordide auquel se livrent ses personnages une sorte de massacre duquel personne ne pourra réchapper, un champ d'épandage de bons mots et de postures malicieuses. Même le générique d'ouverture prend discrètement part aux pièges qui se forment sous nos yeux, nés d'esprits vifs mais surtout aliénés.


Puisque « jouer le jeu est le propre de tout homme bien né », Joseph L. Mankiewicz va au bout de sa logique. Sourires carnassiers et égocentrisme gonflé à bloc, Andrew et Milo investissent un espace parfaitement codifié, où les allusions à la compétition et au ludisme sont permanentes : plateaux de jeu ici et là, automates de toutes sortes, tourniquet pour pénétrer dans les chambres, déguisements... S'ébauche alors un double discours des plus cruels : celui de la lutte des classes, opposant parvenu et nanti, mais surtout celui d'un sadisme égomaniaque porté à incandescence. Pendant ce temps, la caméra balaie tout ce qui peut l'être, opère des plans de coupe improbables, illumine le film de plans-séquences soignés et expose, dans une verve si théâtrale, une arrogance humaine en expansion continue.


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le 16 juin 2017

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