Parmi les œuvres cultes du cinéma, La nuit du chasseur fait figure de véritable pilier, et est sans conteste l'une des plus belles fusions de tous les éléments qui peuvent faire un bon film.
Charles Laughton s'est retrouvé tricard à Hollywood à cause de l'échec commercial de cette production, mais aura malgré tout réussi à faire l'œuvre de sa vie, suscitant la curiosité, qui la rendit rentable au fil des années, et c'est d'ailleurs sans surprise que vous aurez l'occasion de la voir couramment réexploité en salles (et rééditée en DVD/Bluray)
Laughton nous subjugue grâce à la maîtrise visuelle qu'il possède, utilisée de manière intelligente pour nous restituer une des plus beaux essais sur la dualité. Ici tout a son opposé, bien et mal, noir et blanc, âge adulte et enfance, et l'usage de miroirs n'aura pas été oublié. Il est également à noter que le format noir et blanc en est un atout majeur, renforçant ces dualités, et qui n'auraient pas eu le même effet en couleurs, et l'on serait presque tenté de dire qu'il inspira plus tard Franck Miller et son Sin City, les métrages mélangeant toutes deux un genre film noir et western, ainsi que des critiques communes (dont le clergé).
Mais au-delà de ces aspects visuels, qui n'auraient aucun intérêt s'il n'y avait rien à mettre en valeur, de vives critiques sont faites à l'encontre de la religion, mais surtout de l'Homme, et évidemment l'argent. Le prêcheur use de son apparence pour berner les gens, bons croyants, persuadés que l'habit fait le moine, et surtout il les noie dans un océan de paroles, issues de la Bible, et sans cesse détournées afin de servir ses intérêts. En gros, on nous décrit l'Église.
Robert Mitchum est le véritable maître du film, incarnant ce prêcheur avec une conviction étonnante, légèrement surjouée, alternant entre une facétie presque cartoonesque et une cruauté inquiétante, exactement à l'image du Diable.
Bref, La nuit du chasseur est sans conteste une œuvre inouïe, parfaite, subjuguante, effrayante, nous happant de sa première minute jusqu'à sa dernière. Les métaphores y sont toujours très présentes, que ce soit dans les champs/contre-champs alternant clarté et obscurité, tout comme la chouette attrapant le lapin sans défenses, au crépuscule, et illustrant avec une poésie cruelle le titre de la pellicule.
On n'a de cesse de se remémorer tous ces plans, dont celui à fort contraste lors de l'affrontement chanté de Robert Mitchum et Lillian Gish, tout comme celui de Shelley Winters, morte au volant de sa voiture au fond de la rivière, et sans oublier évidemment la poursuite de Mitchum et des enfants dans l'escalier, nous poussant à nous ronger les ongles jusqu'à la chair.
Laughton critique l'Église, l'Homme, et l'argent, mais jamais l'enfance n'est torturée, préservant son innocence, loin des idées Freudiennes, considérant que la cruauté est une des pièces indispensables à la création du surmoi.
Pour conclure, les amateurs de films noirs d'époque, que l'on pourrait aussi qualifier de thrillers, tiendront là une perle et ce serait un crime qu'ils passent à côté. Étonnamment, si les dénonciations sont nombreuses, l'évidente pudeur envers la violence en fait quelque chose qui s'apparenterait à une fable macabre pour enfants. Deux publics, deux visions, qui dit mieux ?
Mention spéciale pour Robert Mitchum, qui en plus d'interpréter l'un des méchants les plus inventifs, vils et cruels de l'histoire du cinéma, a eu en charge de diriger les enfants, Laughton se sentant extrêmement mal à l'aise à l'idée de le faire. Laughton n'était donc pas le seul maître, et il est tout à fait logique que les mérites soient partagés.