Il y a des choses que je ne m'explique pas : comment un film avec Jean Gabin, pourtant auréolé d'un prix d'interprétation à Venise, peut-il autant passer inaperçu ? Il est rarement cité dans l'évocation de sa filmographie, et c'est pourtant un des sommets de l'acteur, au point que son rôle d'aveugle est une de ses rares compositions.
Tout comme dans La bête humaine, Jean Gabin incarne un cheminot, passionné par son travail et qui aime courir les filles. Pendant son travail, où il va conduire son train, il va être aspergé d'un jet de vapeur qui va l'aveugler et malgré ça, il arrêtera la locomotive, ce qui l'honorera de la Légion d'Honneur.
Bien qu'atteint de cécité, il se raccroche aux paroles de son médecin qui assure le guérir d'ici un an ; entretemps, contraint et forcé, il va vivre dans un centre pour aveugles où d'autres personnes sont dans son cas.
Je ne suis peut-être pas partial quand je parle de Jean Gabin, mais je le dis haut et fort ; ce qu'il fait dans ce film est magnifique, un de ses plus beaux rôles. On voit bien qu'on a le Gabin ronchon, le Gabin bourru, mais il révèle une grande tendresse sous son côté ours mal léché qui le rend vraiment attachant. C'est un personnage qui croit une parole, celle de son médecin qui pourra le guérir d'ici un an, et qui ne s'accroche qu'à ça. Ce qui fait qu'au départ, il rejette les autres aveugles, y compris Simone Valère, car il se sent différent, revenant bientôt à la vue. Ce qu'il fait qu'il s'intègre assez peu aux autres, à la lecture en braille, aux activités, car il voit plus loin, sans mauvais jeux de mots.
Comme je le disais plus haut, on trouve l'exquise Simone Valère, qui incarne une institutrice elle aussi aveugle, Gérard Oury dans un de ses rôles de salaud, Cécile Didier, Robert Arnoux, et un des premiers rôles de Marthe Mercadier, qui joue la première fiancée de Jean Gabin au début du film.
Pour vulgariser, La nuit est mon royaume (superbe titre) serait un mélo sur l'aveugle, sur ce qui est beau à l'intérieur des gens, avec deux êtres que tout oppose, Gabin et Valère, mais que leur cécité va les rapprocher.
Notons aussi qu'il y a eu non seulement un véritable travail chez les acteurs principaux à simuler une cécité, mais la présence de véritables aveugles filmés dans ce centre, et qui se meuvent aussi bien que des voyants.
Il y a quelque chose de courageux à l'époque de proposer un film sur un sujet aussi sensible, la cécité. Et sans jamais en faire trop, du genre à se cogner de partout, à tomber, les acteurs y sont très justes avec, je me répète, un Jean Gabin qui m'a souvent ému. C'est un film issu de sa période grise, comme il l'appelait, et qui a eu pourtant un grand succès. Mais je ne comprends pas pourquoi il est si peu connu aujourd'hui...