Au beau milieu de la compétition officielle, il est bon de rappeler que Cannes c’est aussi et surtout la découverte de nouveaux talents prometteurs, au point de parfois faire de l’ombre aux grands talents parmi les plus prisés par la croisette. Là où La Quinzaine s’intéresse à la singularité, Un Certain Regard aux cinémas du monde et l’ACID aux plus ou moins OFNI cinématographiques, La Semaine de la critique fait elle le pont entre ces différentes sélections, en proposant (dans sa compétition officielle) exclusivement des premiers films, pas des plus passionnant au premier abord, mais délivrant un écrin de cinéma novateur ou du moins inattendu dans le fond, comme la forme. Certains de ces films ont réussi à même récemment se faire une place dans la pop culture actuelle, comme Aftersun, Grave, Vivarium, J’ai Perdu mon corps, jusqu’à être une porte d’entrée au succès d’une Justine Triet, d’un Wong Kar-Wai, Guillermo del Toro ; de quoi donner un réel intérêt au long terme pour les films sélectionnés. C’est en tout cas l’espoir que j’ai porté envers Antoine Chevrollier, et son La Pampa, nom donné à un terrain de moto-cross où s’entraîne et vit sa passion Jojo et son meilleur ami Willy au détour de leur vie d’adolescent paumé, bringuebalé par leurs problèmes d’ado. Mais ce quotidien et ces relations bien sous tout rapport vont, comme le secret d’un des personnages, bientôt voler en éclat à un niveau inimaginable.

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Avant toute chose, je tient à signaler que La Pampa fait partit de ces films dont il va être, pour moi, difficile de parler tant je ne sais pas à quel niveau la barrière du spoil est, pour le film et vous lecteurs, franchie et contre-productive, alors je vais me permettre de détailler un des thèmes larges que brasse Antoine Chevrollier avec ce premier film (bien que le metteur en scène ne vous est peut-être pas étranger, il est aussi réalisateur de la série Oussekine, déjà avec Sayyid El Alami). Et surtout son appartenance à une communauté qui prend de plus en plus d’importance dans l’espace public et culturel, à savoir la communauté queer. Je n’irai pas plus loin dans le détail, mais je me sent obligé d’aborder ce point car il infuse le propos de La Pampa, dans la continuité d’un autre film passé à Cannes en 2024, 3km avant la fin du monde ; mettant aussi en scène les dérives de l’homophobie au sein d’un petit village paumé, où l’obscurantisme religieux règne encore. Contrairement au long-métrage roumain, lauréat de la queer palm de l’année dernière, la question de l’appartenance à la communauté lgbtqi+, et surtout le regard de l’autre sur cette appartenance est un ressort dramaturgique plus qu’un thème abordé par le cinéaste. La preuve étant que le film tarde à clairement aborder ce point, cherchant l’effet de surprise en se plaçant du point de vue du personnage pour qui le mystère est encore entier. Le film d’Antoine Chevrollier s’apparente en réalité plus à une tragédie, en reprenant les codes scénaristiques du genre, dont les coups de théâtre viennent approfondir l’ampleur du récit et surtout des thématiques abordées. La Pampa, dans sa note d’intention, cherche moins à mettre en avant son propos que l’histoire d’amitié contrariée mis en scène, et d’à quel point, le thème au centre du long-métrage vient influer sur le caractère et quotidien de chaque personnage jusqu’à en redéfinir les enjeux. Le premier tiers est une introduction pure et dure à ce que va proposer le metteur en scène par la suite, notamment en terme de tonalité. Le ton étant d’ailleurs très proche de l’âme de ses personnages, des adolescents ou jeunes adultes pleins de fougue qui vivent leur vie à plein régime, le drame, la comédie, la fraternité et la passion y sont intenses, sans compromis ou une peur quelconque de se brûler les ailes (comme affiché dès la première scène). Un peu comme la tragédie au sens pur finalement, le film embrasse son côté romanesque et promet de ne pas faire dans la subtilité ou la dentelle, et pour le mieux. Car c’est assez plaisant de voir un long-métrage assumer sa grande palette d’émotions et surtout leur niveau d’intensité proprement fulgurante, construite avec une cohérence hallucinante, bien qu’à mon sens, cela relève aussi d’un défaut plus ou moins conséquent selon les spectateurs, et qui m’a quoiqu’il en soit un peu gêné. Car disons que La Pampa est bardé de grosses ficelles, qui empêchent souvent au film de totalement se déployer en dépit de la puissance des émotions qu’il véhicule.

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La raison est que La Pampa est très bien écrit, trop bien écrit en fait, car la qualité du film, et surtout sa façon de constamment faire appel à des ficelles de scénario constituent autant la profondeur de l’œuvre que sa limite. Car clairement, c’est peu dire qu’Antoine Chevrollier a réellement réussit à proposer un premier long-métrage complet, où tout est extrêmement bien ficelé et réfléchit pour que chaque élément puisse bénéficier d’une profondeur scénaristique et thématique similaire, tout s’agence avec maîtrise et chaque élément du film est correctement dosé. En revanche cela fait que La Pampa, devient d’une certaine manière, assez programmatique voire attendu, on sent, bien que pas forcément dans les détails, où le metteur en scène veut en venir dans son propos et même la trajectoire de ses personnages, ce qui peut par moment rendre certaines scènes particulièrement douloureuses un peu moins impactante, comme si l’effet de surprise cité plus haut était amoindri. C’est pour autant un peu tout, la seule grosse nuance, que j’adresserai à La Pampa, et justement cela contraste avec l’écriture des personnages, leur caractérisation surtout, qui conserve la générosité de l’ensemble avec une authenticité remarquable. Le duo entre Willie et Jojo est tout bonnement incroyable, il y a une alchimie dinguissime entre les deux personnages, évidemment corrélée au talent des deux comédiens, les jeunes mais archi talentueux Amaury Foucher et Sayyid El Alami, qu’on sent liés par une amitié profonde rien que par leur interprétation, et surtout leur approche corporelle. Les deux personnages sont proches au sens figuré comme formel, et cela apporte une vraie plu-value au long-métrage d’Antoine Chevrollier ; jusque dans le détail de leurs tatouage, complémentaires au besoin de « check », et qui les lie en un plan d’une façon indéfectible. Une excellente idée d’écriture corrélée à un traitement de l’amitié qui n’est pas sans rappeler un certain Close, de Lukas Dhont dans leur intimité. Aussi dans son développement lors de la révélation, qui vient créer le trouble au sein de la cellule autant familiale que générale des deux personnages, le metteur en scène montre la violence et surtout les clichés liés à l’amitié masculine tout en gardant majoritairement le point de vue de Willy, découvrant comme le spectateur au fil du film profondeur des enjeux. Pour autant ce qui marque c’est la manière avec laquelle le metteur en scène se refuse certains clichés d’écriture, la dispute, le quiproquo et autres sont très vite balayés par le scénario montrant à quel point l’amitié des personnages est au-dessus, et l’empathie pour eux en est alors décuplé tant on croit dur comme fer à leur lien. Cela vient contraster avec l’ombre plus adulte et menaçante des autres personnages, notamment le père de Jojo incarné par Damien Bonnard, et son entraîneur, interprété par… Artus. Il y a un côté presque « seul contre tous » qui ressort du duo Willy/Jojo, à la fois issu de vraies problématiques sociales que de crises d’adolescence plus ou moins marquée, on croit, en tout cas, en l’authenticité des personnages et par dessus tout, leur alchimie inflexible qui fait la force de La Pampa, et qui se complète parfaitement avec la course en moto-cross, réel battle royal du gasoil.

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La Pampa est donc un film aussi généreux dans ses émotions que maîtrisé dans son écriture, pour autant, Antoine Chevrollier ne se contente pas de cette dernière et offre aussi et surtout une superbe leçon de mise en scène, en particulier au sujet du milieu filmé. Les artistes français ont toujours été soucieux de filmer les zones rurales de l’hexagone, du sud au nord, en passant par toutes les campagnes jonchant le cœur pays. Ces derniers années des films comme Chien de la casse ou Vingt Dieux, quand on ne parle pas de filmographies complètent comme celle des frères Boukherma, prouvent que les jeunes auteurs, parfois dès leurs premiers films, veulent proposer une vision décentralisée de Paris et surtout des grandes villes vues et revues au cinéma. Si on ne définit jamais vraiment la situation géographique précise de La Pampa, on ressent cet imaginaire collectif bonifié par ces cinéastes indépendants français auquel vient s’ajouter Antoine Chevrollier qui vient carrément relever le niveau à un stade supérieur. Car, bien qu’il s’est précédemment attaqué à un des faits divers ayant le plus impacté la sphère sociale de la capitale, le réalisateur connaît plus ou moins cette terre, ses habitants, l’atmosphère qui en découle, d’un point de vue autant formel que thématique ; et surtout, qu’il l’aime et y voit pour moi un réel terreau fertile, profondément cinégénique. Pour ça je pourrai me contenter de dire que la photo de La Pampa est magnifique, qu’elle témoigne d’une vraie puissance visuelle dans ses choix de colorimétrie, accentuant les couleurs chaudes et un climat presque sec qui donne un côté pastel et chatoyant aux décors naturels du film ou au contraire poussiéreux et aride aux scènes de moto-cross. En soit, que d’une certaine manière, le metteur en scène propose un film visuellement épatant, témoignant d’un grand artisanat où la couleur, la lumière, la nature ou les bâtiments offrent des images parfois à couper le souffle, tout en restant à une simplicité d’exécution, sans réelle esbroufe, captant avec réalisme ces espaces provinciaux. Et c’est d’autant plus un point fort que le metteur en scène, dans l’histoire qu’il raconte, met en avant l’aspect communautaire de ces régions, dans une atmosphère proche du western où tout le monde semble se connaître et où les personnages déambulent dans un quasi bac à sable rural. Le premier tiers est fantastique pour ça, on a l’impression que tout est possible, le metteur en scène installe ses personnages, mais surtout leur manière de déambuler sans le moindre problème d’un concours de moto-cross à un terrain vague pour tester un pistolets jusqu’à s’introduire la nuit dans une piscine en toute impunité. Le moto-cross est d’ailleurs, certes utilisé comme un prétexte, mais sert cette idée, en remplaçant le rodéo, en devenant un premier enjeu pour les personnages de Jojo et Willy qu’ils doivent dompter. C’est grisant de bout en bout et merveilleusement capté puis réutilisé par le metteur en scène quand son récit se noircit et prend une direction plus inattendue, notamment, comme 3 km avant la fin du monde, le bac à sable précédemment citée devient une arène où tout finit par s’embraser en à peine 24h, dans des circonstances d’une violence parfois hallucinante, on sent comme tout s’écroule pour les personnages et à quel point cet univers d’abord chaud et estival devient anxiogène et menaçant. Et dès lors les rapports sociaux entre les personnages s’intensifient, et la mise en scène arrive à créer le décalage, montrer la nervosité plus importante et impactante de ces scènes. On passe de scènes de discussion découpées à de réels plans séquences, notamment dans une altercation avec Artus qui file les frissons tant la gradation dans la violence se déploie de plus en plus. Même si le film peut sur le papier avoir une structure très machinale, voire programmatique, la forme arrive à souligner les changements de tons et l’exploration de nouveaux thèmes et enjeux, mais surtout de nouvelles émotions. En témoigne ces courses de moto-cross, et même tout simplement ces scènes de moto-cross, jamais filmées de la même manière, avec la même technique (notamment dans une des scènes finales, tournée à la GoPro) ou le même ton, retranscrivant autant un sentiment de liberté que d’oppression.

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En tout cas, ce qui rend La Pampa galvanisant dans son sens de l’image, c’est sa manière de toujours garder la caméra à hauteur de personnage, même dans ses scènes de motocross intenses et impressionnantes, jusqu’aux déambulations des deux amis dans un hôpital abandonné, le metteur en scène porte une attention constante à ce que l’écriture, comme la mise en scène reste assidûment à fleur de peau. Chose pas tant facile, quand un film comme La Pampa multiplie les tons, allant du drame très intime, à la tension dans ses scènes de course sans parler du côté teen movie plus léger en apparence, chaque fois le réalisateur arrive à faire tenir l’ensemble, rendant l’écriture, encore une fois complète et cohérente, et ce d’autant plus grâce à l’image qui vient apporter un énorme plus à cette tragédie adolescente. C’est même pour moi ce qui ressort en premier, et de plus fort du film, cette mise en scène pure, la manière tout à fait sensible qu’a Antoine Chevrollier de filmer ses personnages avec même tendresse et surtout, constamment à hauteur de personnage. Un point un peu subtile mais qui fait la différence face à d’autres « drames » français et même internationaux, il y a ici une vraie singularité qui se dégage de La Pampa, et qui capte toute la fureur des comédiens et surtout du thème traité, et si le film ne fait pas dans la demi-mesure, ose le mélo, il le fait avec une pureté exemplaire. Aussi car il assume l’âge de ses personnages et le transcrit à l’image, on sent leur jeunesse dans les dialogues, très authentiques, et que le metteur en scène laisse couler et filme en continue, bien qu’il réussisse aussi à capter de simples gestes qui valent plus que n’importe quelle réplique. En contraste, le silence d’une mère inactive en un plan par rapport à la fureur d’un père qui fait définitivement vaciller La Pampa dans la plus pure tragédie avec une aisance rare. C’est là où on retrouve peut-être ce qui fait le zèle que promeut la semaine de la critique, ou plutôt de ses promesses, celle de proposer des œuvres arrivant à traiter de manière singulière des thèmes et/ou propos sur le papier convenus, d’une façon qui surprend et qui fait vibrer, et ça Antoine Chevrollier y arrive magistralement. Son La Pampa est un vrai film sur la jeunesse, qui se met à leur hauteur sans aseptiser ou formater son écriture et mise en scène, il s’y adapte et adopte un point de vue aussi réaliste que romanesque tant certaines scènes arrivent à passer de la tranche de vie simple et presque naturaliste à de grandes envolées mélodramatiques qui reflètent l’intensité des personnages. Le tout avec un naturel qui force le respect, une des raisons qui rend La Pampa aussi haletant que bouleversant, autant dans son travail d’écriture, plus dense et perfectionné qu’au premier abord que dans sa mise en scène, ne cherchant pas tant l’épure qu’une forme de sincérité, calquant et incarnant la fureur du récit.

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La Pampa pourrait être un drame commun, un teen movie efficace ou même un beau film sur la jeunesse en ruralité, mais c’est bien plus que ça, c’est une tragédie d’une efficacité redoutable, doublée d’une puissance esthétique de fond, comme de forme, indéniable. Un grand film sur les tensions qui persistent encore à l’encontre de la communauté LGBTIQ+ et surtout sur l’amitié, avec un duo d’acteurs qui porte le film, ses thématiques, sa fougue et les très intenses émotions qu’il procure sans la moindre concession ou ratage.

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il y a 5 jours

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