La Passion de Dodin Bouffant fait rêver. Il fait rêver car c'est un film sans conflit, plongé dans les pays de la Loire et sa verdure lumineuse où chantent oiseaux et paons toute la journée. Et où surtout, se trouve un beau domaine où la gastronomie français est à son apogée. Où l'on mange comme des rois des plats préparés par la plus grande des cuisinières et soutenu par le plus grand des cuisiniers. Tous les ingrédients sont ici pour livrer un film avec une esthétique rayonnante rendant hommage à notre beau patrimoine culinaire bien d'chez nous. Le problème, c'est que ce petit nuage dans lequel se trouve le film est son plus grand défaut.
Dodin Bouffant a plusieurs partis pris esthétiques intéressants. Le choix du réalisateur de démarrer le film dans le plat ses vingt premières minutes en est déjà un. En privilégiant l'artisanat pur de la cuisine, au développement des relations entre les personnages, le film rentre alors directement dans le lard et dans l'activité complexe que nécessite une cuisine aussi exigeante. Cela dit, les plans donnent un arrière goût au spectateur qui rêve de manger tout ce qu'il voit passer à l'écran, ce qui, paradoxalement, fait que la cuisine est filmée de manière idyllique, sans réelle complication dans sa mise en œuvre. Or, une gastronomie réservée à une certaine bourgeoisie, nécessite une journée entière enfermée en cuisine. Du coup, même si tout ça est très beau, difficile de réellement saisir à quel point c'est dur de mettre la main à la pâte, et de saisir le talent d'Eugénie (Juliette Binoche) à préparer pour cinq gros hommes bien joufflus la nuance de tous ses plats. De plus, le reste des séquences de cuisine sera toujours montée et filmée de la même manière, ce qui fait que la fascination du début perd de son charme au fur et à mesure. On passe pas loin d'une ode artificielle qui relèverait presque de la publicité un peu vulgaire.
Mais Dodin Bouffant est sauvé de ce ressenti par quelques plans au parti pris radical dans leur rythme (notamment son tout dernier, assez joli, qui semble traverser les saisons et le temps), et sa lumière chaude, ses plans un peu longs qui enjolivent chaque lieu et transforme vraiment l'endroit en petit nuage. Mais ce petit nuage fait que l'on reste dans un entre soi confiné. Par conséquent, il n'y a aucun réel conflit interne ou externe qui susciterait l'interrogation ou le trouble chez le spectateur. Hormis l'amourette de Dodin et Eugénie, ainsi que sa maladie mystérieuse, le film n'aborde jamais rien d'autre qui aurait pu épicer ce faux paradis culinaire (par exemple le rapport à la gastronomie et les classes sociales qui en profitent, ou même un questionnement sur le couple qui ne semble pas venir des mêmes univers..) Tout le monde est beau et gentil, ou timide, ou juste génialement talentueux, à l'instar de cette Camille qui semble être née divinement avec une sensibilité au goût parfaite. Tout le monde parle avec un français impeccable qui ne fonctionne pas toujours d'ailleurs avec la direction d'acting. Cet entre soi tout beau fait que le film et donc particulièrement inoffensif et inconséquent. On ne lui demande pas de faire la révolution, mais il aurait été plus sympa de questionner justement ce rapport à la nourriture puisqu'il est très très lié à l'histoire du pays. Pays que semble admire le réalisateur. Donc c'est dommage, car ça donne un résultat un peu ennuyeux, où l'on suit cette amourette bourgeoise vu des milliards de fois mais qui ne jamais gagner en intensité ou en nuance.
La Passion de Dodin Bouffant est donc pour moi très en demie teinte. Car sa forme est très belle et agréable. Certains plans se permettent une lenteur qui donne un ton un peu fantastique, et le travail sur le son, en choisissant par exemple de ne pas mettre du tout de musique et de privilégier les sons du crépitement des casseroles, l'eau qui bout, la nature lumineuse dehors, sont des partis pris radicaux qui me touchent. Mais le fait de rester en permanence dans cette beauté artificielle transforme le film en expérience oubliable qui ne cherche pas à questionner, et qui peine à réellement montrer la complexité de la cuisine, lui préférant des ellipses temporelles et des plans qui donnent simplement faim. Sympathique donc, mais assez inoffensif et esthétiquement intéressant que par quelques bribes de séquences.