Dévisage, transfigure.
Au rang des personnages historiques, Jeanne d’Arc compte son lot d’adaptations cinématographiques, la demoiselle offrant tout ce qu’une saga peut escompter : destinée hors du commun, grandes...
le 3 juin 2020
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Le personnage de Jeanne d'Arc ne fait pas partie de ceux que je trouve fondamentalement et directement passionnants dans l'Histoire de France, mais même en prenant en compte ces considérations édulcorantes, le regard que Dreyer porte (et celui qu'il capte... on ne s'en remet pas) sur un fragment de son existence m'aura offert une des visions les plus tranchantes sur la souffrance intérieure, sur la folie multiple et l'aveuglement à plusieurs niveaux.
Bon sang, d'emblée, comment ne pas se retrouver prisonnier du piège tendu par une telle mise en scène, comme coincé dans le cadre étroit... Au centre de ce tableau mouvant, les yeux de Maria Falconetti n'ont pas fini de me hanter. C'est tétanisant, sidérant, au sens propre de la sidération, l'anéantissement subit des forces vitales. C'est une œuvre remarquablement travaillée, du travail de l'artisan, au contenu mis en valeur à l'aide d'une succession quasi-exclusive de gros plans, de champs-contrechamps, et de plongées-contre-plongées aux effets affinés. C'est le dénuement le plus total, touchant à une forme de pureté dans le fond comme dans la forme : un procédé qui génère une atmosphère unique. Et on est en 1928.
J'aime beaucoup le parti pris de la fenêtre historique choisie, très resserrée : aucune référence (visuelle) aux combats qui ont forgé la légende ici et ailleurs, l'enjeu se trouve en l'occurrence dans le procès (aux contours très particuliers, avec des aléas qui laissent respirer ou au contraire font suffoquer) et dans l'affrontement entre deux grandes figures de l'aveuglement, entre deux croyances. Point de destin grandiose ici, uniquement un dialogue de sourds épuré et magnifié comme on peut difficilement l'imaginer. Un titre qui rappelle évidemment un autre morceau historique, un autre mythe autour de l'incompréhension : d'un côté, la haine des Pharisiens, et de l'autre, ici, l'humiliation de l'Église. La haine naît de l'incompréhension, semble-t-il réciproque, même si elle ne se traduit pas dans les mêmes termes. Des termes qui eux ne sont absolument pas réciproques, les rapports de force n'étant pas vraiment équilibrés. Les barreaux des prisons respectives ne sont en outre pas fait du même matériau : Jeanne est enfermée dans le registre de l'indicible, l'Église dans celui de son dogme.
Et pour illustrer cette méditation, des décors dépouillés, quasi inexistants. Il n'y a presque que des visages dans La passion de Jeanne d'Arc, des regards, pétris de menaces ou de faiblesses. Une lenteur obsessionnelle, une blancheur éclatante. Et cette souffrance, bon sang, je ne l'avais jamais ressentie comme ça. C'est littéralement extraordinaire. Le tout se termine dans un fracas apocalyptique, le bûcher comme une apothéose, entouré par la folie qui parcourt la foule et qui sera sévèrement réprimée. Des images impressionnantes d'un point de vue purement graphique, incandescentes et terriblement marquantes. Au-delà de la complexité du message, et, surtout, au-delà de sa transmission de manière non-verbale, le caractère muet du film s'efface devant son éloquence et son ampleur.
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Créée
le 23 juin 2017
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