Certains, généralement dans un élan de mise en avant culturelle auprès de leur entourage lorsque c'est dit avec un manque de subtilité affirmé, aiment à parler de "pureté" lorsque l'on parle de cinéma muet. Comme si la valeur cinématique d'un film pouvait se mesurer en pourcentage, en chiffres inimaginatif. Mais surtout, comme si le son, ou, dans une moindre mesure, la couleur, constituaient des défauts dans cet art qui devrait donc rester entièrement visuel pour garder sa pureté.


Exit, donc, par le son, les avancées scénaristiques de Le Trou, les caractérisations de personnages de M le Maudit, ou même l'hypnotisme total de 2001, L'odyssée de l'Espace. On en aurait d'ailleurs également fini avec l'utilisation du silence, ce dernier devenant la seule norme acceptable. Cette idée parait encore plus ridicule lors du visionnage de "La Passion de Jeanne d'Arc", lui qui arrive si bien à jouer sur ces silences, tout en n'émettant aucun son.


Parler de cinéma muet en devient même non pertinent, tellement le film de Dreyer parait bavard. On parle à une cadence élevée, les lèvres des personnages bougent autant que cette caméra baladant son objectif parmi les juges, et on peut très bien imaginer que des sons sortent de ces personnages aux visages aggressifs et imposants. On ne parlerait donc pas de cinéma muet. La surdité lui siérait mieux, une surdité volontaire, à l'image de cette jeune croyante, refusant d'entendre les arguments des Hommes pour mieux écouter le silence de son Dieu.


Pourtant, les nombreux intertitres nous prouvent que malgré toute sa mauvaise volonté, le film entend bien ce qui se dit. On a beau y regarder sous tous les angles possibles, aucun sens disponible dans le cinéma d'aujourd'hui ne manque dans ce cinéma d'hier. Au lieu de pureté, parlons plutôt de totalité. Adjectif qui englobera aisément tous les cinémas de tous âges, mais qui prendra une résonnance plus grande chez les muets, de par leur handicap initial. On sera toujours plus admiratif de voir un homme en chaise roulante grimper des escaliers plutôt qu'un homme en pleine possession de ses moyens.


"La Passion de Jeanne d'Arc" utilise parfaitement cette idée de la parole et de ce qui s'y cache derrière. À l'image de son personnage, le film entend ses interlocuteurs pour faire fi de leur parole, et aller chercher autre part un sens supérieur. Chez Jeanne, ce sera Dieu, chez le film, ce sera sa mise en scène. Les deux se rejoignent dans le visage aux expressions multiples de la jugée, traduisant parfaitement la passion. Celle de Dieu, qui amène à une extase de l'esprit et une souffrance du corps, et celle du cinéma, qui dans une moindre mesure, provoque le même effet.


Ces films rendant un hommage vibrant à un art qui commence à peine son véritable voyage me rendent toujours admiratifs. Le réalisateur fait ici un avec son personnage, dans une relation créateur/créé qui brouille ses propres pistes. Qui, du réalisateur et du film, crée l'autre ?

Mayeul-TheLink
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le 25 sept. 2016

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