C'est par le biais d'une lettre que commence La Passion Van Gogh. Une des nombreuses qu'il a envoyées à son frère. Une lettre retrouvée en débarrassant sa chambre, qui n'arrivera jamais à son destinataire.
C'est peut être là une partie de la tragédie de l'artiste. Qui ne se sent bon à rien... Inutile... Qui ne semble pouvoir s'exprimer que via son art. Le film donne tout cela à ressentir, en forme d'enquête sur les derniers jours de Vincent, loin de la forme habituelle du biopic. L'artiste devient le personnage principal d'un film dont il est absent, qui n'évoluera que dans la bouche de chaque témoin visité par un facteur improvisé. Dans des souvenirs en noir et blanc, au trait fin et assuré, aux ténèbres plus ou moins profondes suivant la position, le point de vue porté sur cet étranger à Auvers, entre rumeurs et demi-vérités.
Le récit de ses derniers jours sera donc multiple, en forme de mosaïque, entre l'auberge, les champs, les routes de cette campagne qui serpentent, la maison du docteur Gachet, le bord de l'eau, où il peignait les jolies dames blanches à chapeau, et devant cette porte entrebaillée, le jour où il croqua Marguerite en train de jouer du piano. Tout en levant le voile sur la jeunesse de l'artiste et sa relation fraternelle fusionnelle avec son bienfaiteur Theo, empreinte de regrets et de remords.
L'enquête fascine par son sujet, à l'évidence, reliant les points entre eux de cette vie gâchée et écourtée. Le rythme qui l'anime en est presque hypnotique. Mais les tours de forces seront sans doute à chercher ailleurs.
Car tout d'abord, La Passion Van Gogh anime littéralement la peinture de l'artiste, dans ses jaunes chauds, ses bleus profonds et son travail si caractéristique, fait de coups de pinceaux brefs et multipliés. La vie de l'artiste semble même s'en extraire, jusqu'à ses reliefs solides les plus intimes, qui ferait presque regretter que le film n'ait pas pu être envisagé en 3D. Tant les bords de chaque passages du pinceau se détachent, tant ses petites accumulations et amas de matières existent et sont tangibles. Le film nous fait entrer littéralement dans chaque oeuvre reprise, pour en faire rejouer chaque petit épisode, nous faire découvrir des angles inconnus, des petits morceaux de vie réinterprétés ou des visages que l'on croyait pourtant familiers. Et c'est la vie de l'imagination de Vincent qui est portée à l'écran, les couleurs que voyait son oeil qui transperce le coeur, alors que la tristesse qui étreignait son âme rejaillit dans un même élan.
Car La Passion Van Gogh ne s'appelle pas ainsi pour rien. Car l'oeuvre, picturalement magnifique, anime aussi à la fois les sentiments tourmentés du peintre ainsi que ceux éveillés dans l'âme du spectateur qui prend conscience de la dimension tragique de la vie de l'artiste.
La Passion Van Gogh résonne en effet de toute cette mélancolie quasi infinie, de la sensibilité de l'homme qui ne peut l'exprimer que sur la toile, de la tristesse et la solitude de celui qui s'envisage inutile et étranger au monde. Tandis que ses peurs et ses failles sont aussi tangibles que sa peinture.
Car l'artiste ne peut que ressentir profondément. L'artiste ne peut que ressentir tendrement.
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