"Piou, Piou, Piou" dit Nicola né dans les "fabuleuses années soixante", "Piou, piou, piou" refait-il tout le long du film et on devient fou.
"Piou, piou" refait-il encore parlant du dernier oeuf sorti du cul de la poule que sa grand-mère toujours monomanïaque, sûrement peut-être un peu bête mais de bonne volonté apportait toujours pour faire plaisir. Et la personne, la maîtresse ou la nonne gobait l'oeuf qui sentait encore le cul de la poule. Aussi, Nicola aime beaucoup les esquimaux, mais Nicola aime tellement les esquimaux que cet esquimau que son père lui a acheté lui semble bien insipide face aux mille qu'il pourrait déguster. Et son père jamais ne lui en offrirait un deuxième, et quand bien même il le ferait il n'en aurait jamais assez. Alors Nicola cesse de manger ce premier esquimau qui lui semble bien insipide face aux mille qu'il pourrait déguster, n'en croque qu'un bout à peine et le met dans sa poche.
L'esquimau fond dans la poche qui reste tachée du chocolat noir fondu de l'esquimau qu'il avait mis dans sa poche. Et la vie de Nicola n'est et ne sera que comme cette immense frustration qu'à trop vouloir rentrer dans les cases on lui rappelle en permanence que rentrer dans les cases c'est tout un art. Qu'être quotidien et banal ça n'est pas donné à tout le monde. Mais pourtant Nicola ne demande rien. Il fait les courses au super-marché de façon routinière, discute avec son ami et ne prend que ce qu'il y a sur la liste, s'amuse à compter les pets de la bonne soeur qui l'accompagne depuis quinze ans. Et la vie s'en va de façon répétitive. Et nous rend fou.
Fou comme l'impatience qui doit monter chez vous qui lisez cette critique.
Innéductablement, précisément, méthodiquement, la Pecora Nera rend fou.
J'ai laissé passer quelques jours avant de me lancer dans une critique du film. Demain nous devons critiquer la Pecora Nera pour notre émission de cinéma mais pourtant les mots me filent sous les doigts alors que le sentiment profond m'assaille encore.
Est-ce un bon film ? Oui assurément. Que dire d'autre lorsque que comme rarement je restais accrochée à mon siège de bout en bout, parfois mais rarement percevait une longueur, qui ne devait sûrement être du qu'à la dureté du sujet. J'entrais dans la sale en compagnie d'un ami et sortant après de bout en bout avoir regardé le silencieux générique nous sortîmes de la salle et avions tout à coup la sphère d'une intimité immense étendue devant nous. Nous avions vécu une expérience et il y aura un avant et un après la Pecora Nera qui choquante nous forcait sans trop savoir pour quoi à murmurer en sortant de la salle et à parler avec parcimonie, douceur en choisissant nos mots ; un spasme agitait nos muscles dont on avait l'impression qu'il avait été compressés comme enfermés eux aussi dans le cloitre, dans cet asile dont personne ne sortait.
La Pecora Nera se veut une fresque immense. On lui a déjà reprochée une certaine pédanterie. Non, elle est ambitieuse cependant c'est vrai. Elle veut faire vivre une expérience innovante. Elle veut conjuguer poésie, drame et cinéma. C'est une sorte de cri d'angoisse terrible et cependant de vie. Car malgré tout, malgré la dénonciation sous jacente et tacite des pratiques terribles (électrocution) des asiles, Nicola ne sait pas qu'il est fou. Et quand bien même il le saurait, "et alors ?". Nicola a construit sa petite chanson obsédante et va vers sa mort peut-être mais seule la soeur qui le veille depuis son enfance le remarque réellement. Lui croit qu'il est bénit des dieux. Mais il parait peut-être plus libre que son ancienne amour qui elle devient abrutie par son travail à vendre des cafés toute la journée. Et au fond, on pourrait penser qu'elle est aussi folle que lui.
Car la Pecora Nora c'est aussi une relativisation de la définition carrée que l'on pourrait donner de la folie. C'est une tentative de redéfinition du genre humain, une fable humaniste qui dit aussi et surtout que les plus grands artistes sont peut-être les moins reconnus, les marginaux, les gens à part. Car qui nierait la sensibilité du coeur de Nicola, son grand coeur lui qui ne parait au final être que le produit de l'incompréhension générée par un monde d'adultes se refusant à l'écouter, le catégorisant dès l'enfance. Brebis galeuse qu'il est mais sûrement en faut-il toujours une pour s'assurer que les autres marchent bien. En stigmatiser un c'est aussi rappeler que les autres vont bien, qu'ils marchent droit. Qu'ils sont raisonnables alors que l'enfant aux histoires de martiens, à la mère folle et internée et à la grand-mère monomanïaque des oeufs de poule ne peut pas simplement être droit, il n'en a pas le droit pour le bien de la communauté.
Alors oui c'est long. Oui c'est lent. Mais une vie dans un asile c'est long. La Pecora Nera c'est aussi la victoire de la poésie. Le long fleuve qui malgré les épreuves aspire, respire, transpire par tous les pores de la prison et d'un regard s'en évade. Qu'importe alors la critique acerbe derrière ou plutôt : que sont ridiculisés les faits dénoncés ! Consumérisme, asiles psychiatriques infâmes, piété religieuse. Le marginal libéré attaché sur son lit est un martyr élevé au rang de la poésie. C'est un cri apaisé d'une virtuosité stupéfiante, d'une beauté fulgurante quasi hypnotique.
Nous sortons fou car nous ne savons plus au juste précisément ce qui est juste. Nous savons que nous sommes tous fous. Que Marina est aussi irrationnelle que Nicola. Que rien n'est rationnel. Et on se prend à penser qu'en fin d'une beauté comme celle-ci, d'une instant poétique et absolu comme celui là, on pourrait abandonner sa raison.
Le coup de génie de Celestini, c'est la petite chanson de Nicola qui raconte tranquillement les affaires les plus affreuses qui alors nous paraissent d'autant plus horrifiantes tant la réaction, absurde de Nicola, nous parait naturelle.
Sans concession pour le spectateur, aucune.
(critique à reprendre, restructurer, bonne nuit).