La Petite Lili par Gérard Rocher La Fête de l'Art

C'est sur l'Ile aux Moines en Bretagne dans une demeure cossue que Mado, une actrice de cinéma, vient passer ses vacances en compagnie de son frère Simon et de son fils Julien. Brice, un célèbre cinéaste, Don Juan à ses heures, est également du voyage. Tout ce petit monde se prélasse, se croise et parfois se toise sous le regard critique des domestiques dont la fille Lili est courtisée par Julien. Il en est tellement épris qu'il décide de lui faire tourner une vidéo. Pour la projection de celle-ci, il réunit tout ce petit monde mais le contenu de cette première expérience cinématographique est loin de faire l'unanimité et entraîne un conflit familial entre Julien et sa mère. Brice, le séduisant cinéaste, a toutefois apprécié la prestation de Lili qui, séduite elle aussi par cet artiste renommé, lui demande de l'emmener à Paris au grand désespoir de Julien Cinq années plus tard, Lili réapparaît, elle a changé et Julien s'apprête à tourner son premier film ...

Claude Miller nous entraîne à travers une adaptation très libre de "La Mouette" de Tchékov. La littérature n'est plus l'axe de l'intrigue mais le milieu du cinéma au travers de l'analyse de deux générations de cinéastes et d'actrices. Nous entrons dans un monde de fascination qui mène à des conflits de jalousie et de conception de la vie et du métier. Lili a toujours rêvé d'être actrice et c'est alors qu'elle se retrouve face à une grande professionnelle: Mado. Mais cette dernière, déjà "décalée" par rapport aux idées novatrices de son fils, se sent atteinte dans son orgueil par la jeunesse et la spontanéité de Lili. Elle représente pour Mado celle qu'elle ne sera plus. Lili est l'avenir, celle qui part avec le célèbre réalisateur, et là Mado se sent sur le retour. Julien milite pour un cinéma intimiste, s'opposant au style commercial dont Brice semble être un adepte reconnu. Il n'admet pas que Lili qu'il adore ne lui rende que de l'affection, cela le ronge autant que ce conflit permanent de génération avec sa mère. Cette trahison de Lili partant avec un cinéaste séducteur, compagnon de sa mère, n'arrange rien à l'affaire d'autant que les films qu'il réalise sont à l'opposé de sa conception du cinéma. Après la séparation viennent les retrouvailles. Lili suit son chemin d'actrice, elle a quitté Brice et semble épanouie. Quant à Julien il a réalisé son premier long-métrage défouloir au sujet délicat puisque le propos tourne autour de sa mère.

Claude Miller est un très bon réalisateur et ses précédentes oeuvres le prouvent. Il convient de se souvenir de l'incomparable "Garde à vue" dont il est également question sur ce blog. Dans cette version new-look de 'La Mouette", les protagonistes ne meurent pas, ils tentent de vivre ou plutôt de survivre dans un monde qui les use et les détruit. Dans ce climat Simon est le plus serein comme en témoigne le petit mot qu'il retrouve dans sa main au réveil d'une sieste en plein cadre champêtre: "On t'a laissé dormir. Tu avais l'air heureux." Tout un symbole... Ce film alterne les moments dramatiques et les moments d'apaisement grâce à des scènes d'une extrême sensibilité. Chacun est solitaire, s'observe, se déteste et regrette de vivre. C'est ainsi que les personnages de ce film sont formidablement bien dépeints et observés et l'on doit en convenir que cette version quelque peu hardie d'une oeuvre célèbre est plutôt bien réussie. Cette petite Lili qui déclenche le malaise malgré elle, est fort bien interprétée par Ludivine Sagnier et Robinson Stévenin, son jeune amoureux déjà atteint par les aléas de la vie, se montre fort crédible. Nicole Garcia est talentueuse, elle se montre pathétique et émouvante dans un rôle qui lui colle à la peau. Il faut également mentionner les remarquables performances de Jean-Pierre Marielle (magnifique), de Julie Depardieu et de Bernard Giraudeau.

Contrairement à l'oeuvre originale, les héros ne meurent pas. Certains errent dans une existence qui n'a plus aucun sens. Ils sont malgré tout plus morts que vivants. Toutefois il reste une lueur d'espoir à la fin de ce film, la jeunesse parviendra peut-être à réaliser ses rêves et viser un autre idéal de vie à travers un monde du cinéma différent de celui de leurs aînés. Ainsi, une page se tournera...