Né de la rencontre du réalisateur Victor Gaviria avec une fille de la rue, Mónica Rodríguez, et d'une adaptation de La Petite fille aux allumettes d'Andersen (1845), La Petite marchande de roses revêt l'aspect d'un conte de Noël aux accents néoréalistes, dépeignant la réalité difficile des enfants des rues (gamines en VO) de Medellin, dont les jeunes protagonistes sont eux-mêmes issus.
Vingt ans après le Gamín de Ciro Durán qui avait connu un certain succès, Victor Gaviria nous offre un film cru sur une réalité pas toujours bien acceptée par la critique colombienne, lassée par l'abondance dans les années 70 de films-documentaires sur le sujet parfois qualifiés de pornomisère et de voyeurisme misérabiliste, ou plus récemment par la résurgence de biographies sur ses trafiquants de drogue -- souvent d'un point de vue hollywoodien. Ici, le film renvoie au courant néoréaliste italien pour lequel Gaviria n'a pas caché son admiration. Il rencontrera un certain succès populaire et est dorénavant considéré par la critique comme l'un des trois films les plus influents du cinéma colombien après La Stratégie de l'escargot (Cabrera, 1993)et Confession à Laura (Osorio, 1990). Une critique injustement mais régulièrement formulée à l'encontre de son réalisateur est l'exploitation de gamins des rues pour les besoins de son film, gamins laissés à leur sort ensuite.
Quand la réalité rattrape la fiction.
La jeune fille qui a inspiré le réalisateur et apparaît créditée comme conseillère technique, Mónica Rodríguez, a été assassinée à l'âge de 17 ans, quelques jours avant le démarrage du tournage. Tournage qui s'est effectué dans des conditions dramatiques, puisque plusieurs gardes du corps qui protégeaient l'équipe ont été abattus par les gangs locaux et de nombreux techniciens ont jeté l'éponge, quand ce ne sont pas les acteurs eux-mêmes qui faisaient des leurs : bagarres, consommation de drogue, vols...
Celle qui interprète Mónica dans le film, Lady Tabares, n'a pas été beaucoup plus gâtée par la vie. Un an après le succès du film et une promotion qui l'a amenée jusqu'aux marches du Festival de Cannes, elle est retournée à la rue et a vu son compagnon se faire abattre dans leur maison. Peu de temps après, en 2002, elle fut elle-même impliquée dans le meurtre crapuleux d'un chauffeur de taxi et condamnée à 26 ans de prison. Ironie cruelle quand on repense à cette scène du film où un taxista reçoit un coup de couteau en plein cœur après avoir été dérobé de son argent.
Les autres actrices n'ont malheureusement pas eu plus d'opportunités et sont retournées à leur quotidien de vendeuses de roses ou de prostituées dans les rues de Medellin, quand elles ne sont pas mortes prématurément.
Le sort des acteurs a été plus terrible encore. "Milton" est mort de maladie quelques temps après la sortie du film. "El Zarco", qui a échappé à deux tentatives d'assassinat durant le tournage, s'est fait abattre un an plus tard. "Anderson" est mort renversé par un camion, "Don Héctor" assassiné et "Choco" se déplace dorénavant dans un fauteuil roulant après avoir été blessé par balle. Un des acteurs a déclaré qu'en 2014, seuls trois des quinze acteurs utilisés dans le film étaient encore en vie.
Loin d'une malédiction, le destin tragique des acteurs rappelle toute la difficulté du monde dans lequel ils ont grandi, un monde où les issues heureuses n'ont pas leur place, un monde où les existences sont encore plus éphémères qu'ailleurs.