Cinéaste parmi les plus provocateurs du cinéma italien, Marco Ferreri fit scandale à plusieurs reprises avec des films comme Le Lit conjugal (1963), Le Mari de la femme à barbe (1964) ou bien encore (et surtout) avec La Grande bouffe, en 1973. Toujours pertinent lorsqu'il s'agissait d'ausculter l'Italie de son époque, on oublie pourtant souvent que Ferreri a commencé sa carrière de réalisateur par trois films espagnols, tournés en plein régime franquiste, à savoir : Los Chicos (1959) ; El Pisitos (1959) et donc, celui qui nous intéresse ici, La Petite voiture (El Cochecito), sorti en 1961.
Pur produit d'humour noir, le film nous narre les mésaventures de Don Anselmo, un vieil homme quelque peu délaissé par sa famille et qui se retrouve presque à mendier la moindre pièce auprès d'eux pour sortir s'amuser. Il se met alors en tête d'obtenir un petit véhicule motorisé pour partir en vadrouille avec ses amis infirmes, qui en possèdent tous un.
Véritable satire de la société franquiste espagnole, et notamment contre la famille et le traitement réservé aux personnes âgées, notre octogénaire est ici mis de côté et négligé par ses propres enfants, qui ne voient en lui qu'une charge supplémentaire à assumer dans leur vie, alors que lui ne rêve que d'évasions et d'horizons, façon Marlon Brando dans l'Équipée sauvage, et retrouve en quelque sorte une seconde jeunesse à l'idée d'obtenir ce petit véhicule et d'appartenir à cette communauté de freaks motorisés.
Si le comportement de ses proches vis-à-vis de lui est dénoncé avec férocité par Ferreri, le réalisateur ne fait pas non plus de ce personnage une victime angélique, et pour cause, l'attitude de celui-ci envers son entourage s'avère magnifiquement insupportable. Agissant comme un enfant capricieux, Don Anselmo sera prêt à toutes les tromperies et mesquineries pour obtenir son graal, alors qu'il n'est même pas handicapé, contrairement à ses amis.
Ces derniers n'échappent d'ailleurs pas non plus à l'oeil acerbe (mais pas cynique) de Ferreri qui les montre, de manière délicieuse, comme une sorte de gang de motards, égoïstes, laissant le pauvre Don Anselmo sur le côté et lui refusant l'accès à leur groupe, du fait qu'il ne possède pas la fameuse petite voiture. À travers eux, Ferreri ne manque pas non plus l'occasion d'évoquer intelligemment, tous les mutilés de la guerre d'Espagne, qui grouillent alors sous le régime franquiste, 20 ans plus tard, avec de nombreux éclopés, manchots et unijambistes.
La Petite voiture est un film passionnant sur comment un vieux monsieur, devient un ado rebelle et capricieux, pour au final, se transformer en hors-la-loi pour arriver à ses fins. Le métrage bénéficie également de la performance absolument exceptionnelle de son acteur principal, José Isbert, qui réussit à nous rendre ce personnage terriblement attachant, faisant de lui une sorte de poil à gratter permanent de la société.
Immense réussite de la part de Marco Ferreri, El Cochecito lui permettra de se faire les dents sur le franquisme pour ensuite effectuer son retour en Italie et faire la carrière que nous lui connaissons. À découvrir en Blu Ray chez Tamassa.