Quatrième long-métrage de Danny Boyle, avec un budget conséquent et l’ambition d’adapter le livre éponyme d’Alex Garland, The Beach nous emmène sur les voies de l’expérience mythique du traveller occidental, à la poursuite des rêves de paradis tropicaux.



Le mirage d’un idéal de vie vers un idéal de soi.



Je n’ai pas relu le bouquin depuis quinze ans, je garde le souvenir de coupes conséquentes dans le passage au scénario mais l’impression, avec tout ce que le cinéaste écossais met de lui dans ses films, d’une ambiance et d’une problématique fidèles à l’œuvre originale. Un questionnement, cher à Danny Boyle, autour de la nécessité des interactions sociales, de ce qu’on y cache, de ce qu’on dévoile, et essentiellement de ce qu’on y gagne ou perd en équilibre psychologique.



De la fragilité individuelle de l’homme.



Ouverture désormais classique, attendue, dans l’œuvre en construction du cinéaste : une distincte voix-off, monocorde, monologue et statut sur l’expansion occidentale d’un certain mode de consommation qui ronge les possibles ouvertures à l’inconnu et avilie l’exotisme, sur des plans étouffés des ruelles bondées de Bangkok où erre le narrateur, Richard, un jeune et insouciant touriste américain prêt à se livrer tout entier au monde.
Formellement, The Beach ressemble à un film de Danny Boyle : pas un grain de sable dans un découpage et un montage stricts et efficaces, millimétrés, une lumière ultra travaillée, tout en finesse par Darius Khondji, et une photographie de carte postale en adéquation avec les paysages et les motivations qu’ils filment, un peu d’humour acide, une grosse part sombre, le tout rythmé d’élans clipesques – incroyablement décalée, l’auteur arrive à créer une séquence de tendre romance sur un remix des Spice Girls. Si l'écossais ne se réinvente pas, il continue d’explorer les noirceurs de l’âme humaine et les bas instincts de survie, donnant cohérence à



une œuvre socio-psychologique intense et profonde.




We were heading for the great unknown but to get there, we had to
take the regular tourist trails.



Robert Carlyle, dans un rôle court, énorme en toxicomane habité, incarne avec une rare violence physique un personnage clé dans le parcours du narrateur, miroir préventif pris à la légère malgré la fureur des vérités qu’il transmet. Tilda Swinton dégage la rudesse nécessaire à cet ersatz de gourou, discipline de fer sous voix et sourire de velours, qui tient le secret gardé et le paradis vivace. Virginie Ledoyen est magnifique, belle – rien que ça. Mais – on peut regretter l’absence d’Ewan McGregor et le choix de faire du narrateur un américain et non le britannique de l’œuvre originale – c’est bien la jeune star Leonardo Di Caprio qui nous emmène sur les voies de la démence, de la perte de soi là même où il lui semblait devoir être. L’acteur est habité, parfois un peu trop dans ses hommages appuyés à Marlon Brando, et sue l’arrogance et l’assurance qui le perdent peu à peu. Il compose avec présence et profondeur un personnage qu’on aime détester mais aux errances duquel, de par leurs aspirations basiques, on ne peut que compatir.



I tried to remember the person I used to be.


En enfermant ses personnages dans le paradis sur Terre, et confirmant combien « l’enfer, c’est les autres », Danny Boyle va plus loin et démontre que l’enfer se niche aussi en chacun dans les questions de conscience, infimes grains de sables qui affluent et s’accumulent après les erreurs, les irresponsabilités qui ne restent jamais sans conséquences. L’auteur interroge



la nécessité de l’appartenance sociale,



les complexes cheminements intérieurs qui amènent à se soumettre ou non aux codes, les différentes formes de liberté admissibles au sein d’un paradis donné, et lève le voile violemment sur les garde-fous, indispensables aussi désagréables soient-ils, de la norme et de la socialisation.
Abrupte fin du paradis.


Il n’en reste qu’une photographie passée.
Un souvenir. L’intensité vivace du présent, condamnée à fuir sans cesse, pousse-t-elle ainsi l’homme à ne pas apprendre à préserver son propre bonheur, est-ce la nature essentielle de l’appréhension constante qui appelle l’éphémère. The Beach, furie démente et cauchemardesque, nous rappelle combien la richesse s’oublie, comment le bonheur s’enlise irrémédiablement, se laisse en un trop court instant recouvrir par les sables mouvants irrévocables de l’esprit inconstant.



If you find that moment, it’ll last forever.


Matthieu_Marsan-Bach
8

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Créée

le 13 janv. 2017

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