Incroyable qu’un tel film ait vu le jour sous le Rideau de Fer, tellement il est ironique et insolent, dénonçant les travers du communisme et son hypocrisie, en appuyant fortement son propos. Cela dit, s’il a pu être réalisé en 1968 et sortir en salles en 1969, il est officiellement interdit en 1971… et dans les faits dès 1970. Il a donc été bien assez vite censuré.


En effet, impossible de ne pas comprendre le message complètement anti-communiste de Milan Kundera, dont ce film adapte le roman éponyme. Et comme Kundera s’est acquitté du scénario, le long métrage reflète parfaitement sa pensée. Il dira même que c'est la meilleure adaptation cinématographique qui ait été faite d'un de ses ouvrages.


Il faut dire que la mise en scène de Jaromil Jireš est magnifique. Les prises de vues sont très maîtrisées, et Jireš use d'un art de la distanciation consommé. Le montage est complexe, jouant sur plusieurs temporalités, et stoppe net tout lyrisme dès qu'il commence à s'épanouir. Reflet de la société sous le joug communiste, qui brisait les individus : corps et esprit.


Dans ce film, Kundera et Jireš dessinent le portrait de plusieurs personnages aux trajectoires différentes. Le personnage principal tout d'abord, véritable anti-héros, est un intellectuel nihiliste, qui a eu le malheur de faire une mauvaise plaisanterie sur le régime communiste, ce qui lui attirera de gros ennuis. Les femmes, quant à elles, n'ont clairement pas le beau rôle... L'actrice principale joue une femme particulièrement fausse, en apparence tout entière dévolue à l'idéologie communiste... mais quand ça l'arrange. Plusieurs apparatchiks sont également dépeints, dont certains sont des amis du héros... et le trahissent.


Le personnage le plus touchant, rare figure d'humanité dans ce film très sombre et sans illusions sur la nature humaine, est celui de l'ami musicien du héros. Personnage généreux et fragile, qui symbolise peut-être l'innocence perdue d'une région, la Moravie natale de Kundera, creuset de la culture tchèque, et d'un pays, défiguré par l'idéologie soviétique...


« La Plaisanterie » est un film complexe, multiple. Beaucoup de choses passent par le non-dit. C'est une chance qu'ils soit parvenu jusqu'à nous, témoignage précieux d'une époque terrible... et de la résistance humaine face à l'oppression. Hélas, il semble que l'on n'en ait pas fini avec le totalitarisme et la barbarie...


Critique à retrouver sur mon blog ici.

ArthurDebussy
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Top films tchèques et Films vus au cinéma

Créée

le 5 oct. 2024

Critique lue 11 fois

3 j'aime

Arthur Debussy

Écrit par

Critique lue 11 fois

3

D'autres avis sur La Plaisanterie

La Plaisanterie
Plume231
6

Les cocos n'avaient pas beaucoup d'humour !!!

Adapté d'un roman de Milan Kundera que votre serviteur n'a pas encore lu, La Plaisanterie est une oeuvre tchèque qui a été tournée pendant les événements tragiques du Printemps de Prague, qui a eu le...

le 23 déc. 2015

3 j'aime

La Plaisanterie
Nwazayte
5

Oeil pour oeil (ou pas)

Le pitch est vraiment accrocheur. Adapté de Milan Kundera, ce film de Jires (un auteur important de la fameuse Nouvelle vague tchécoslovaque) revient sur certains événements douloureux de l'histoire...

le 27 déc. 2013

2 j'aime

La Plaisanterie
Cinephile-doux
6

Délation et pensée unique

Une adaptation fidèle à l'esprit et à la lettre de Kundera. Critique acerbe du régime communiste à travers 30 ans d'histoire tchécoslovaque marqués par la délation, la pensée unique, la trahison,...

le 17 sept. 2019

1 j'aime

Du même critique

Mary et la Fleur de la sorcière
ArthurDebussy
4

« Kiki à l'Ecole des Sorciers »

Manifestement, il ne suffit pas de reprendre l'esthétique d'un maître pour l'égaler. C'est ce que les suiveurs et autres académistes apprennent à leurs dépens depuis la nuit des temps en matière...

le 24 févr. 2018

59 j'aime

12

Princesse Mononoké
ArthurDebussy
10

Le passage d'un monde à un autre

« Princesse Mononoké » couronne la carrière d'Hayao Miyazaki par bien des aspects. Peut-être son film le plus riche et le plus complexe, c'est également l'un des plus accomplis formellement,...

le 13 août 2016

36 j'aime

10

Il était une fois dans l'Ouest
ArthurDebussy
9

Western épique et lyrique

Vu une première fois, trop jeune, il y a longtemps, j'étais complètement passé à côté de ce film. Je m'étais dit « tout ça pour ça » ?! Je ne comprenais pas le concert de louanges qui entourait ce...

le 19 août 2020

32 j'aime

20