Le pitch est vraiment accrocheur. Adapté de Milan Kundera, ce film de Jires (un auteur important de la fameuse Nouvelle vague tchécoslovaque) revient sur certains événements douloureux de l'histoire tchèque. Ils sont nombreux à le faire en Tchécoslovaquie, surtout durant ces fastes années soixante, où rien ne semble freiner la liberté d'expression des cinéastes. On pense aussi aux Trains étroitement surveillés de Jiri Menzel qui revenaient sur la vie des contrôleurs de gare pendant la Seconde guerre mondiale ou encore à l'Incinérateur de cadavres de Juraj Herz, admirable film presque expérimental sur le collaborationnisme tchèque.
Le point commun entre les deux films que je cite, c'est qu'ils savent tous deux savamment détourner leurs pitchs pour nous offrir, dans le premier cas, une comédie grivoise assez délicieuse sur les premiers émois sexuels d'un jeune puceau attachant et dans le second cas, un manifeste esthétique grinçant et satirique.
Ce n'est pas nécessairement le cas avec le film de Jires qui, histoire récente et controversée oblige, on y évoque quand même la censure politique sous Staline, fait davantage corps avec son contexte politico-historique. Le cinéaste tchèque est d'ailleurs plutôt lourd dans la contextualisation de son histoire, filmant à plusieurs reprises les foules, les manifestations humaines, un portrait de Staline ici ou là. Cela ne dessert pas forcément son film qui perd un peu le naturel de certains de ses prédécesseurs.
On y trouve toutefois des indices assez forts de son appartenance à la Nouvelle vague tchécoslovaque : une mise en scène uniforme, découpée de manière atypique, jouant beaucoup sur le son et certaines de ses dissonnances, des acteurs bizarrement dirigés, et une voix off un tantinet monotone. La différence ici, c'est que ce ton ne correspond pas nécessairement au sérieux avec lequel le cinéaste aborde son sujet. Il manque ici la dérision caustique d'un Menzel ou les expérimentations techniques d'un Vlacil ou d'un Herz pour convaincre pleinement.
Pourtant, tout n'est pas à jeter, loin de là. Le film a ainsi la bonne idée de justifier son regard froid, refusant tout expressionnisme (et c'est là l'une des différences majeures entre cinéma tchécoslovaque et cinéma soviétique, malgré la tendance qu'ont certains à les rapprocher), par la perspective douce de la vengeance du personnage. Aussi, Jires prend son personnage sur le point de se venger et nous fait revivre les événements qui ont conduit à sa situation par flash-back entrecoupés de scènes anodines du présent, sous le prisme de sa pensée. Et c'est une bonne raison pour justifier qu'il n'y ait pas vraiment de coloration dramatique qui se dessine, l'ensemble étant forcément atténué par l'idée de la vengeance qui se dessine de manière sous-jacente.
On peut quand même regretter la froideur du dispositif, laissant un goût un peu fade à cette partie du film mais au moins est-elle justifiée du point de vue de l'écriture.
Ce que l'on pardonne moins en revanche, c'est à quel point cette vengeance est platement exécutée, et à quel point le film enchaîne les facilités d'écriture dans sa seconde partie, s'achevant brutalement sans raison apparente. On est loin du regard à la fois fin et naturel qu'ont les autres auteurs de la Nouvelle vague tchécoslovaque sur les figures de leur histoire.
Trop court, artificiel dans sa seconde partie, le film ressemble parfois à une caricature esthétique (la photographie N&B un peu terne ne peut faire penser qu'à certains Milos Forman de cette époque là, comme l'As de Pique ou les Amours d'une blonde) de la Nouvelle vague tchécoslovaque. La déchéance du personnage est pourtant plutôt bien dépeinte mais le film laisse un arrière-goût d'inachevé.