La Planète Des Singes n’est pas, et de loin, le meilleur film de Tim Burton, de là à dire qu’il serait le moins bon, il n’y a qu’un pas. Car, si celui qu’on surnommait l’enfant terrible d’Hollywood avait réussi par deux fois à s’emparer d’une franchise pour la faire sienne et ainsi livrer deux Batman plus que réussis, il n’en va pas de même avec cette sixième adaptation du livre du Français Pierre Boulle. Si elle est la moins infidèle au roman (ce qui n’est pas difficile, comme dans le livre le voyage est à la fois spatial et temporel), cette version n’en reste pas moins un film sans l’âme de son réalisateur et, surtout, empli d’incohérences.
Difficile donc, de retrouver le père impertinent d’Edward Aux Mains d’Argent sous ce déluge d’argent (100 millions de dollars tout de même, un de ses plus gros budgets), difficile d’ailleurs d’y retrouver le moindre réalisateur, tant il semble que ce film soit sorti tout droit d’une chaîne de montage cinématographique. Alors oui, tout cet argent a l’avantage de produire des effets spéciaux et un univers simiesques crédibles (mais tellement frileux), ceci jusqu’à la démarche des acteurs, gage d’authenticité. L’apparence des soldats fait partie des rares réussites, tout autant que les maquillages, qui n’ont rien à envier à ceux présents dans le film de 1968 réalisé par Franklin J. Schaffner. Ils en deviennent même troublants, au point qu’on en trouve presque Helena Bonham Carter désirable en chimpanzé.
Tim Burton n’a donc pas été totalement étouffé par une production qu’on imagine le mettant sous surveillance, puisque de cette ambiguïté homme-animal, naîtra un baiser final et furtif entre Leo l’humain et Ari la chimpanzé, un baiser qui faillit disparaître au montage. Burton conserve une part de l’aspect dérangeant de l’histoire de Pierre Boulle, une histoire qui nous renvoie à nos tendances anthropocentristes et même, pour certains, à leur ethnocentrisme, sur lequel ils basent leurs rapports sociaux. Mais on reste si loin de la pensée subversive que Tim Burton avait développée jusque ici... Il aura, avec ce film, subi le destin d’autres réalisateurs, effacés derrière une production qui veut seulement leur nom sur l’affiche en gage de rentrées d’argent supplémentaires.
Dans cette pétaudière, les bons acteurs (chargés de rapporter encore quelques dollars) au générique se débattent comme ils peuvent, mais restent bien en dessous de leur jeu habituel. Pourtant ce casting est superbe, de Mark Wahlberg à Helena Bonham Carter en passant par Tim Roth, tous les ingrédients promettaient une performance, mais le cuisinier avait perdu la recette. Quant à la bande originale, parfaitement accolée à l’ambiance du film, souvent très martiale, elle s’avère incapable de s’imprimer dans la mémoire du spectateur. Pertinente donc, mais sans âme, à l’image du film en somme.
Mais le plus gros défaut de cette Planète Des Singes, qu’on parle de scénario ou de dialogues, reste la faiblesse de son écriture. Il suffit d’écouter en particulier les dialogues dont est affublé Mark Wahlberg, pour comprendre : c’est creux, plat, jalonné de clichés et transforme un astronaute égaré en héros badass sans cervelle. Le triangle amoureux qui se forme peu à peu entre Leo, Daena et Ari tient également de l’artifice, tant on ne comprend pas sur quoi il repose. Autant on sent une relation entre Leo et Ari, autant on la cherche en Leo et Daena, à moins qu’il ne s’agisse que de physique. Burton ne se prive pas non plus d’indigentes grosses ficelles, comme la chute de cheval de l’enfant, juste au moment de l’assaut donné par les singes. Seul petit moment de grâce dans ce scénario balisé : le réquisitoire de Charlton Eston, ex-membre honoraire de la N.R.A., contre les armes à feu et la violence des hommes. Un délice pour initiés…
Mais les incohérences l’emportent par K.O. tant Tim Burton ne semble pas maîtriser le voyage temporel et ses implications, ni même s’en amuser autant que Robert Zemeckis avec son Retour Vers Le Futur. Citons pêle-mêle : la capsule (celle du singe) qui part la première et se pose comme une fleur, et atterrit sur la planète plusieurs jours après la seconde (celle de Leo) qui lui, se crashe. Ou alors il y a une ironie, car Leo affirme d’entrée que les hommes font mieux le boulot que les singes. Le vaisseau mère de Leo qui semble s’être, comme sa capsule, écrasé sur la planète mais n’a pas, lui, voyagé dans le futur puisqu’il est là depuis des milliers d’années. Toutes ces incohérences semblent n’être là que comme des facilités de scénario qui permettent à Burton de sortir ses personnages de l’impasse.
Parlons enfin de cette scène finale, qui fit beaucoup parler mais qui est à ce jour la plus fidèle au roman. Elle pose un constat accablant et sans aucune explication logique : les singes ont remplacé l’homme dans l’univers. Dans le film comme dans le livre, cette fin est frustrante bien que captivante. Elle n’offre aucune possibilité d’interprétation ni d’explication et impose au spectateur de l’accepter telle quelle. C’est en ça qu’elle frustre : elle est forte, elle n’a pas d’explication logique et personne de se donne la peine de nous donner un début de piste.
On regrettera longtemps ce ratage, qui marquait le début d’une lente descente du talent d’un Tim Burton de moins en moins irrévérencieux. En acceptant ce film, il s’est posé en alibi d’une production avide d’exploiter une franchise depuis longtemps laissée en jachère, oubliant du même coup une indépendance à laquelle il semblait tant tenir. Trop d’argent corrompt le talent, Tim Burton l’a oublié. Il ne reste guère que de fugaces instants où le maître gothique semble venir prendre une respiration, pour ensuite replonger dans les remugles de la super production hollywoodienne, attendant qu’on l’achève tant il sent que non, décidément, cet enfant bâtard ne peut pas être le sien.
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