Tout part d'un roman écrit par le Français Pierre Boulle, également connu pour "le Pont de la rivière Kwaï", qui fut transformé par Rod Serling, auteur de la série la 4ème dimension ; il modifie l'histoire plus complexe en un brillant conte subversif, une allégorie sur l'humanité qui démontre ce que pourrait être le monde si l'homme et le singe avaient échangé leur place. Le discours philosophique est percutant et surprenant, il relativise l'ascendant que l'homme a pris sur le règne animal et sur la nature en général, l'obligeant à commettre des actes contre nature. Ce qui surprend dans le film, c'est que au-delà de l'inversion des rôles, les singes, qu'ils soient orangs-outans, gorilles ou chimpanzés, vivent de façon un peu primitive sans avoir inventé une technologie avancée ; ils imitent l'homme dans ses actes, commettent les mêmes folies raisonnables et reproduisent leurs tares, mais utilisent des objets rudimentaires, et habitent des sortes de cavernes aménagées, ils n'ont pas évolué sur ce plan.
Derrière l'aspect original de l'entreprise et ses astuces, il y a le côté spectacle, à ce titre, le plus gros défi de la production fut de convaincre qu'un tel sujet n'était pas risible par la représentation des singes joués par des acteurs ; ça pouvait en effet être très risqué. Une fois rassurée par des tests, la Fox décide donc de mettre le paquet en faisant construire des décors en dur (qui serviront pour les suites et une série TV en 1975), et surtout en engageant John Chambers, grand spécialiste des prothèses ; il mit au point une substance spéciale à base de mousse de caoutchouc qui formait un masque bien plus confortable pour le visage des acteurs, mais dont le seul inconvénient était la pose des masques et des mains velues qui pouvait durer 3 h. Du coup, acteurs et figurants devaient garder les masques toute la journée et s'alimenter avec des repas liquides. Ce travail remarquable sera récompensé par un Oscar.
Pour tous ces éléments, la Planète des singes est devenu un grand classique de la science-fiction, une date importante dans la carrière de Charlton Heston, et l'occasion pour Jerry Goldsmith de composer une musique un peu expérimentale où il mêle des sons étranges aux cornes de brume des gorilles lors de la scène de la chasse. Cette scène de chasse doit choquer et surprendre le spectateur en même temps que Heston qui découvre des gorilles sur des chevaux, ce plan est incroyablement bien rendu, la surprise est totale. Les prises de vues après l'atterrissage du vaisseau, filmées autour du lac Powell et à Glen Canyon, sont parfaites pour figurer un monde désertique et désolé. Le film a permis aussi à Roddy Mcdowall d'inventer une gestuelle simiesque qu'il a transmise à ses partenaires "singes" et qu'il endossera à nouveau dans les séquelles. Enfin, le film a marqué les esprits avec son final absolument renversant qu'une jaquette de DVD à un moment a fini par spoiler... mais je me souviens de la première fois où j'ai vu ce plan final, ce fut la stupéfaction totale, c'est devenue l'une des fins les plus célèbres de l'histoire du cinéma. Un grand film, qui surpasse toutes les autres versions.