Pas encore reconnu comme l'un des plus grands cinéastes de tous les temps mais plus comme un tâcheron emballant des kilomètres de pellicules pour des bandes d'exploitation, Mario Bava signe La Planète des vampires, film de SF gotique, au beau milieu des années 1960. Cette production fauchée squattant un plateau de Cinecitta ne brille évidemment pas par son scénario : écartelé entre six scénaristes (dont Bava himself) de nationalités différentes pour satisfaire chaque pays coproducteur impliqué, l'enjeu principal du film est de décimer simplement tous les cosmonautes (d'ailleurs très nombreux !) un par un quand les autres regardent ailleurs. En plus, le récit ne peut même pas impliquer de romance entre deux d'entre eux, l'acteur principal imposé, Barry Sullivan, étant bien trop vieux pour sa partenaire (et aussi pour avoir le charisme et la mobilité exigés pour un héros).
Peut-on se rabattre dès lors sur la direction artistique ? Non plus ! Les combis cuirs des cosmonautes sont aussi kitchs qu'érotiques, faisant beaucoup pour le charme de La Planète des vampires, mais ils déambulent dans des sas et couloirs de vaisseaux spatiaux (et oui, y en a deux !) complètement interchangeables. Pour tenter d'impressionner avec cet ersatz de Star Trek, on offre à la salle des commandes d'être très spacieuse, trop même quand on voit ensuite la toute petite maquette (pour ne pas dire jouet de bain) dans lequel elle est censée être.
Et pourtant, malgré tout cet enrobage nanardesque de La Planète des vampires, le film est absolument hypnotique et sublime. Pourquoi ? Parce que Mario Bava ! Transcendant ses ingénieux mais rudimentaires effets spéciaux et décors, le maestro créé un psychédélisme baroque et angoissant de toute beauté. Nimbant l'atmosphère (curieusement respirable d'ailleurs) de couleurs vives et de fumée dévorante, Bava en fait son personnage principal, atterrissant sur une planète littéralement vampirique, à défaut d'être peuplée de vampires (du moins de vampires intéressants). Par conséquent, qu'importe le scénario, le destin des personnages ou le futurisme précaire, puisque le voyage, lui, vaut définitivement le coup. On a beaucoup dit de La Planète des vampires qu'il avait fortement influencé Dan O'Bannon pour pondre les scripts de Dark Star ou Alien, mais de mémoire, personne n'a eu le toupet de Bava pour offrir un espace hostile aussi follement bariolé tout en gardant l'angoisse de la terre inconnue. Filez deux rochers en polystyrène dans un studio de 10 mètres carré avec quelques fumigènes et lampes disco à Mario Bava, et il vous en sort donc un film de SF envoûtant. Si ça, ce n'est pas du génie...
PS : si vous avez la chance de voir la nouvelle copie magnifiquement restaurée de La Planète des vampires en ce moment dans les (trop peu de) salles, comme moi, vous aurez aussi la chance de le voir accompagné d'une intro de Nicolas Winding Refn. Le film l'a si foutrement influencé que le cinéaste de The Neon Demon en parle avec tant d'éloges... qu'on dirait presque qu'il l'a fait lui-même !