On surestime La porte du paradis de Michael Cimino. Le "western ultime" relatant la guerre du comté de Johnson, où de riches éleveurs ont engagé des mercenaires pour éliminer, avec l'aval des autorités, les immigrants d'Europe de l'Est qu'ils accusaient de voler leur bétail, n'est pas aussi réussi qu'on le prétend, et ce pour cinq raisons :
- Le film n'est pas aussi beau que ça. L'enchaînement des scènes manque parfois de naturel, notamment dans la partie centrale où se succèdent des "tranches de vie" isolées sans rapport avec la trame principale. Quant aux scènes elles-mêmes, si certaines sont superbes (le bal du prologue, le meurtre avec le drap blanc interposé), d'autres sont brouillonnes, comme la fusillade finale.
- La partie centrale, qui raconte les événements du comté de Johnson proprement dits, s'éternise en multipliant les scènes banales introductives, et en dépit de cela certains enjeux sont mal présentés. Par exemple, celui qui ne connaît pas la trame de l'histoire en amont n'a que très tard la certitude que Champion (Christopher Walken) travaille pour le Syndicat des éleveurs de bétail. Ce n'est pas une volonté du film ne préserver cette ambiguïté (tueur ? chasseur de prime ? à la solde de qui ?), c'est juste que ce n'est pas clair.
- Parfois, Cimino insiste trop lourdement sur son message. Par exemple lorsque Billy (John Hurt), l'ancien camarade d'Averill à l'université et membre du Syndicat, se lamente : « Je suis prisonnier de ma classe ! » Merci, on avait compris !
- La musique, aussi réussie soit-elle, est répétitive : les mêmes mélodies à la guitare sèche se succèdent inlassablement.
- La Porte du Paradis n'est pas un chef-d'œuvre incompris à sa sortie, mais un projet qui s'est écroulé sous le poids des caprices de Michael Cimino (à titre d'exemple, la scène du réveil de James Averill (Kris Kristofferson) dans le train a nécessité cinquante-deux prises !) : le budget a explosé et le film – d'abord sorti en version longue, je le rappelle : aucune intervention des méchants studios qui aurait sabordé le film – a été un échec public et critique.
Est-ce que La Porte du Paradis serait un mauvais film alors ? Non. Juste un film dont on idéalise un peu trop la qualité réelle, en partie par nostalgie du Nouvel Hollywood dont il a contribué à la chute, en partie à cause de son aura d'œuvre maudite. Mais il ne suffit pas d'avoir de grandes ambitions pour accoucher d'un chef-d'œuvre : parfois, on accouche "seulement" d'un film trop long et pas très bien rythmé.