Réalisé dans la foulée de l'arrêt de la série, Twin Peaks : Fire walk with me est un énième gâchis surestimé de David Lynch. Ce dernier désirait approfondir le personnage de Laura Palmer, qu'on ne connaissait pratiquement que de manière indirecte dans la série.
Partant de là, ce que David Lynch aurait pu faire, c'est un film destiné à la fois aux amateurs de la série et aux nouveaux venus : les premiers, même en connaissant l'histoire de l'héroïne et l'identité de son meurtrier, auraient pu avoir une vue d'ensemble du puzzle reconstitué, apprécier quelques clins d'œil et pourquoi pas voir levées quelques zones d'ombre ; les seconds auraient eu toutes les clefs pour goûter à l'essentiel et au meilleur de Twin Peaks : rencontrer une jeune fille populaire et une ville apparemment tranquille, découvrir les failles de l'une et les dangers de l'autre (que ce soient les différents trafics qui s'y déroulent ou les créatures qui y rôdent), jusqu'au meurtre sauvage final, dans une ambiance passant de l'onirisme au cauchemar. C'était l'occasion de tirer la substantifique moelle d'une série boiteuse qui s'était pris les pieds dans le tapis pour en sublimer les réussites sur grand écran.
Hélas, David Lynch ne mange pas de ce pain-là. S'il a l'occasion de faire retomber sur ses pieds un projet qui avait capoté et de faire un joli pied de nez aux studios ABC qui l'avaient enterré au passage, il choisira plutôt de partir dans la direction où on ne l'attend pas, de livrer une œuvre absconse et de destiner son pied de nez aux spectateurs.
Ainsi les nouveaux venus qui ne connaissent pas les personnages seront-ils dans une situation inconfortable, avec la désagréable impression que le film ne s'adresse pas à eux – ce qui est peut-être le cas. Aucune introduction, Laura est directement présentée comme une junky (donc aucune réflexion sur les apparences trompeuses), et comprend dès le début, par l'intervention d'un deus ex machina improbable (la grand-mère Chalfont et son petit-fils), qui est Bob, la créature qui hante les rêves et qui se nourrit de la peur et de la souffrance. Les informations sont balancées à la chaîne, sans aucune notion de suspense. Du coup, le spectateur peut à peu près comprendre l'intrigue générale, mais dans la douleur d'un effort continu, et ne pipera rien à bon nombre de scènes.
Ce ne sera guère mieux pour ceux qui connaissent la série. Se concentrer sur le personnage de Laura Palmer apparaît très vite comme une fausse bonne idée, car il s'agit ni plus ni moins de jeter par la fenêtre toute l'aura de mystère qui l'entourait auparavant. On ne la connaissait que par des témoignages, de courts enregistrements, des extraits de journal, quelques apparitions fantasmagoriques, chacun s'était fait une idée du personnage, et David Lynch nous dit en substance : « Pour lever toute ambiguïté, Laura Palmer, c'est elle. »
Beaucoup de personnages de la série n'apparaissent que le temps d'un clin d'œil éclair, sans grand intérêt et qui perdra un peu plus le spectateur ne connaissant pas l'œuvre de base. Certains acteurs ont été remplacés ou enlevés du script car ils ne pouvaient ou ne voulaient pas participer au long-métrage : la meilleure amie de Laura, Donna Hayward, personnage assez important, est donc incarnée par Moira Kelly au lieu de Lara Flynn Boyle. Pratiquement aucun décor de la série n'est réutilisé. Tout cela fait que même le spectateur qui connaît Twin Peaks perd ses repères et n'est pas en position de force pour comprendre l'histoire.
Les personnages eux-mêmes ne semblent pas correspondre exactement à ce qu'ils étaient dans la série :
- Dans le film, qui est un préquel à cette dernière, Bobby Briggs, le petit ami de Laura, tue un homme. Dans la série, c'est juste un adolescent qui deale, il n'est jamais question qu'il soit un meurtrier. C'était déjà un défaut du roman de Jennifer Lynch (Le Journal secret de Laura Palmer, publié entre deux saisons, pourtant apprécié des fans), d'exagérer les problèmes des protagonistes par rapport à ce que l'on montre d'eux dans la série.
- De même Donna semble à deux doigts de se prostituer, sans aucun lien avec l'histoire du personnage dans la série – mais elle a peut-être oublié cette aventure à cause de la drogue qu'on lui a fait prendre. En revanche, comment aurait-elle pu oublier le comportement de Laura, qu'elle a surprise à fréquenter des clients de prostituées qui lui demandaient ses services ? Dans la série, elle dit simplement "qu'elle avait changé, dernièrement".
- La mère de Laura ressemble déjà au zombi dépressif qu'elle deviendra à la mort de sa fille, et elle est témoin du comportement étrange de son père vis-à-vis de cette dernière, alors que dans la série elle a l'air tout à fait ignorante.
Enfin, tous les éléments surnaturels sont évoqués au lance-pierre, qu'ils soient connus des spectateurs de la série (la loge noire, Bob, Mike, le nain) ou, ce qui est plus problématique encore, qu'ils soient nouveaux (le garmonbozia, la bague de Teresa Banks et le prologue du film – on y reviendra). Du coup, même les "connaisseurs" s'exclameront en leur for intérieur : « Mais... C'est quoi ça ? De quoi il parle ? » Les fans les plus extrêmes pourront à la rigueur dire « Ah, ça me dit quelque chose, il y a une référence dans tel épisode... » Mais de vue d'ensemble ou d'explications, point.
Terminons, par le commencement. Le film s'ouvre sur un prologue qui parlera à ceux qui ont vu la série : le meurtre de Teresa Banks, qui s'est déroulé un an avant les événements de Twin Peaks et qui comportera des similarités avec le meurtre de Laura Palmer. Ce prologue est la seule partie du film qui garde quelques traces de l'humour de la série, au passage. On y suit deux agents du FBI prendre l'affaire en main, l'introduction n'est pas mauvaise, et puis soudainement l'un des agents disparait après avoir trouvé la bague de Teresa (cette bague est magique, mais vous ne saurez pas pourquoi, et vous ne saurez même pas vraiment comment). Retour au bureau, où l'agent Dale Cooper (bien connu des spectateurs de la série) annonce à son chef « Attention, d'après mon rêve ce jour sera spécial ! Je m'en vais inspecter la caméra de surveillance du couloir pour voir si par hasard mon image n'y apparaitrait pas de façon décalée. » Comme ça, sans plus de détails. Débarque alors David Bowie, qui incarne un agent disparu de longue date, qui rapporte une scène qu'il a surprise on ne sait comment dans la loge noire, et qui disparaît. Et hop, Cooper par enquêter sur la disparition de l'agent enquêtant sur Teresa, conclut en deux minutes qu'il n'a aucun indice, et c'est fini. La disparition de l'agent, le cas de David Bowie, vous n'en entendrez plus jamais parler, et bien sûr ce n'était pas abordé dans la série. Je sais bien qu'il a fallu réécrire le script car Kyle MacLachlan (Dale Cooper, qui devait enquêter sur la mort de Teresa à l'origine) ne voulait pas d'un grand rôle, mais dans ce cas pourquoi avoir lancé une histoire sans rien derrière ?
Pour finir, je voudrais mentionner cette scène croustillante du prologue où une femme en robe exécute un numéro de mime avec force grimaces et gesticulations devant les agents du FBI qui partiront enquêter sur la mort de Teresa Banks. Sur le trajet, le bleu qui n'a rien compris interroge son mentor sur ce cirque, et ce dernier lui répond le plus sérieusement du monde en interprétant la moindre mimique, la moindre gesticulation, le moindre défaut sur la robe de la femme en question, et en déduit une somme d'informations sur les obstacles qu'ils rencontreront bientôt, et dont la femme les a avertis par signes. Sur le coup, ça m'a fait sourire, j'y ai vu une réminiscence des méthodes peu conventionnelles de Dale Cooper sur le mode de l'auto-dérision. C'était absurde, mais ça ne mangeait pas de pain. Mais maintenant que j'y réfléchis, un doute m'assaille : est-ce que David Lynch ne se foutrait pas ouvertement de la gueule de ses fans pour qui il n'existe pas de mauvais film de David Lynch, seulement des mauvais spectateurs qui ne font pas l'effort d'interpréter les scènes mystérieuses que le génie a conçues ? Voilà qui laisse songeur...
PS : Dans ce film, Laura gifle James, son insupportable amant insipide, après avoir moqué sa mièvrerie. Merci à elle !