Chef d’œuvre maudit de Cimino, deux ans après l’énorme succès du Deer Hunter, Heaven’s Gate est souvent considéré comme le film ayant précipité la fin du Nouvel Hollywood. Le coût exorbitant du film et son échec critique et commercial cuisant permettant aux studios de reprendre le contrôle après quinze ans de production durant lesquels les réalisateurs sont les auteurs de leurs films. Cette liberté créative totale permet à Cimino de diriger la création du film en ses propres termes, dépassant largement son budget initial et poussant ses équipes souvent à bout pour satisfaire ses exigences de perfection – qui lui valent le surnom peu flatteur d’Ayatollah sur le tournage.
Basé sur des faits réels, Heaven’s Gate dépeint un conflit de la fin du XIXe siècle aux Etats-Unis entre fermiers et éleveurs dans un comté du Wyoming. Le film y ajoute des éléments sociétaux, faisant des fermiers des pauvres, et en majorité des immigrants européens, opposé aux propriétaires, issus des élites universitaires de la côte est. Cette tragédie est racontée du point de vue de Jim Averill (Kris Kristofferson), au croisement entre les deux mondes.
On ne va pas y aller par quatre chemins : le film est magnifique. La photographie impeccable de Vilmos Zsigmond sublime les paysages incroyables de Glacier National Park et insuffle une beauté poétique à un ouest américain froid et sauvage. À ces cimes austères, on oppose la chaleur humaine de la communauté de migrants où vit Jim ; en dépit des difficultés permanentes qu’ils rencontrent, les nouveaux citoyens n’en oublient pas leur joie de vivre. Dans la lignée du mariage de The Deer Hunter, le film est plein de scènes de vie somptueuses, dont en particulier une danse en patins inoubliable. De l’autre côté, chez les riches, tout est silencieux, aseptisé, sans âme. Un contraste qu’on retrouve au climax du film ; lors de la trêve de nuit, les fermiers ont leurs chants et musiques tandis que les éleveurs en sont réduits à écouter dans un calme lugubre.
La version la plus actuelle du film dure 3h40, mais son rythme parfait assure qu’il n’y ait pas une seconde où on trouve le temps long. Les scènes s’enchainent de manière logique et sont toutes suffisamment longues pour prendre le temps de construire l’univers du film. Aujourd’hui, un réalisateur aurait du mal à faire accepter la pilule – à justifier un prologue de vingt minutes ou une longue valse à seulement deux personnages. Mais c’est ce rythme langoureux qui contribue au ton mélancolique du film, dont l’issue tragique ne fait pas de doute pour Jim.
Il y a sûrement plein de choses à dire sur ce film magnifique ; on peut parler des acteurs, tous irréprochables, portés par Isabelle Huppert, radieuse, et Kristofferson, charismatique en diable. Ou de la musique qui accompagne si justement chaque moment du film, de la brass band d’Harvard durant le prologue jusqu’au générique de fin.
Un film beau à en pleurer, c’est presque dommage qu’il soit si "court".