Il était (déjà) une fois dans l'Ouest

Tous les ingrédients sont réunis, pour que l’on entre dans le mythe,

Tombstone – OK Corral – (mais la Poursuite infernale est bien le premier film important consacré au fameux règlement de comptes, bien avant les remakes de Sturges, Kasdan ou Pan Cosmatos ; John Ford créait ses propres mythes) – Doc Holliday – Wyatt Earp – Virgil Earp – Morgan Earp …

Le saloon – le poker – la danse – la diligence – le bétail – les chevauchées – les coups de feu – les coups de fouet …

Monument Valley – Henry Fonda – Linda Darnell – Victor Mature - John Ford à la signature …

Il y a plus.

Un vrai souffle romantique d’abord. Qui apparaît moins dans les grandes effusions, dans les grands sentiments, qui accompagnent souvent la conquête de l’Ouest, parfois la plombent dans les westerns les plus classiques – ces moments sont d’ailleurs rares et brefs dans My Darling Clementine.

Plutôt dans des instants très privilégiés, où le temps s’immobilise – la danse, et plus encore l’arrivée de la diligence, et les deux personnages debout, immobiles, silencieux pendant quelques secondes d’éternité.

Et la musique, évidemment, la chanson. Et le titre du film, dont on se demande bien pourquoi la production française a voulu le traduire de la plus banale, la plus indifférenciée des façons. My Darling Clementine n’est pas un titre de western, ou pas seulement.

Il y a plus.

Il passe dans le film une sorte de nostalgie, un souffle de mélancolie. My Darling Clementine est aussi un adieu à l’ouest et au western. Un au revoir, plutôt, comme celui annoncé à la toute fin du film par Wyatt Earp sur le départ ; l’adieu viendra avec l’Homme qui tua Liberty Valance, qui dit la même chose en réalité, mais de façon irréversible.

Dans My Darling Clementine le clan Clanton représente, de la façon la plus explicite, l’image de l’ouest ancien. Et ce n’est pas une question de morale – c’est une autre morale plutôt, directement énoncée, dans un moment de fureur, par le vieux Clanton , de la façon la plus simple et la plus limpide : « Quand tu tires, il faut tuer ton homme. »

La ville de Tombstone verra simultanément arriver la loi (incarnée évidemment par Wyatt Earp), la religion (avec l’édification du temple), l’école (Clementine restera pour devenir institutrice) et même l’art avec une très étonnante représentation de Hamlet – Doc Holliday reprenant le monologue oublié par le comédien pour un des moments les plus singuliers du film. La Poursuite infernale ne raconte pas l’épopée des pionniers, la construction du mythe - mais bien sa fin, l’arrivée d’un nouveau monde et de la civilisation. John Ford, sans forcément en être conscient à cet instant, annonce la fin du western, l’arrivée des Etats-Unis sur les terres encore sauvages. Ce n’est certes qu’une étape, il n’est pas question du train, la diligence est encore reine. Mais Ford l’Irlandais est profondément américain, tenant du rêve américain et définitivement optimiste. Ce ne sera pas le cas de ses encore lointains héritiers, et des grands westerns crépusculaires à venir, d’Il était une fois dans l’Ouest à Pat Garrett et Billy le Kid.
(On notera tout de même que la civilisation n’est pas encore tout à fait arrivée. On tire volontiers dans le dos, et pas seulement du côté des Clanton. La fin de l’ultime règlement, à OK Corral, n’est pas tout à fait chevaleresque …)

Mélancolie, en fait..Bien cachée, joyeuse à ses heures, discrète, mais profonde. On retrouve ainsi, comme chez Leone ou chez Peckinpah, les représentants de l’ordre ancien, de la barbarie, ici les Clanton ; en face, ceux de l’ordre nouveau, de la civilisation, incarnée par le marshall Wyatt Earp. Et aussi, surtout presque, l’homme qui conserve un pied dans les deux mondes, et qui pour cette raison est condamné – Franck / Henry Fonda dans il était une fois dans l’Ouest (et l’idée géniale d’avoir donné cette fois et pour la première fois à Fonda le rôle du monstre, la boucle est bouclée), Pat Garrett chez Peckinpah ou John McCabe.

Doc Holliday, peut-être au fond le personnage clé du film, appartient bien à ces deux mondes : il est cultivé, médecin (dentiste dans la réalité, sans doute un peu charlatan), mais aussi joueur, tueur, et même spécialiste de Shakespeare à ses heures - perpétuellement en fuite, il n’a plus sa place dans ce monde en train de naître.

(Et comme à la fin d’Il était une fois dans l’Ouest, le Cheyenne meurt et laisse l’homme à l’harmonica partir seul pendant que se bâtit la ville nouvelle, de même Doc Holliday n’accompagnera pas Wyatt Earp au moment de son départ.)

Mélancolie, donc. Discrète et forte. C’est peut-être ce qui explique les prestations en demi-teinte des interprètes. Henry Fonda peut sembler en retrait, peu investi ; dans le rôle de Clementine, Cathy Downs est sans doute peu charismatique ; Victor Mature, comme toujours, est monolithique et peu expressif (mais de façon imperceptible, par très petites touches il parvient à faire vivre et à toucher avec un très beau personnage, sans doute son meilleur rôle). En fait c’est peut-être aussi la tonalité d’ensemble du film qui pousse tous les comédiens à cette réserve, à cette retenue.

Mélancolie donc. Wyatt Earp et John Ford reviendront sur l’air de Clementine – et il reviendra, bien plus tard, à Sergio Leone, à Sam Peckinpah et à Robert Altman d’en faire un requiem
pphf

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4

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