Dès les premières images, lors du générique présentant des photographies d'époque ou du moins dans un style très 19e siècle, The Culpepper Cattle Co. joue la carte de l'authenticité. Dans la lignée des westerns attachés à déboulonner le mythe du genre classique ("Revisionist Westerns" en anglais), à la fin des années 60 et durant toutes les glorieuses 70s, Dick Richards adopte un regard sec, qu'on imagine réaliste, et sans fioriture sur la vie de cowboy. Une approche percutante de par son caractère anti-spectaculaire, allant à l'encontre de bien des clichés. Elle épouse les personnages dans toutes leurs zones d'ombre et leurs ambiguïtés, pour ne pas dire médiocrité, et se double d'un récit d'apprentissage marqué par les contradictions qui se soldera par une très amère désillusion quant à la réalité du monde des adultes.
La vie de cowboy est dépeinte dans toute sa normalité, au milieu du bétail et de la crasse, avec ses difficultés, ses conflits, et les nombreux problèmes qui jalonnent la route de la transhumance. Un terrain de choix pour une prise de conscience radicale et un apprentissage en accéléré : le jeune homme tout fier de son pistolet récemment acquis, empli d'un enthousiasme démesuré, ne tardera pas à ajuster sa vision un brin idéaliste du monde brun et des gens qui le peuplent. Il apprendra qu'un pistolet n'est pas uniquement fait pour faire joli à la ceinture et que son utilisation n'est pas sans conséquence.
Dans la première partie, La Poussière, la sueur et la poudre (titre francophone) accorde un soin évident à la description des préparatifs du voyage, en mettant l'accent sur une tension diffuse. Le bétail est imposant, la troupe est bigarrée, et le rôle du meneur est dépeint de manière étonnamment pragmatique, dans ses obligations de concession et de distance vis-à-vis des comportements de chacun, parfois chaotiques. La violence dont le groupe fait preuve quand ses intérêts sont menacés, face à des voleurs et autres propriétaires terriens vindicatifs aux comportements tout aussi variés, est sans équivoque. Dans ce monde de brutes et de crétins, il n'y a pas deux façons de survivre. Même s'ils n'y ont recours que quand ils sont en danger, ils n'hésitent pas à tuer, parfois sans sommation. Le personnage interprété par Geoffrey Lewis, au regard bleu fou, perçant et menaçant (ce n'est pas un hasard si on le retrouve dans la peau des méchants de Mon Nom est Personne et L'Homme des hautes plaines), est d'une instabilité inquiétante. Comme beaucoup d'autres personnages, son comportement est éminemment ambigu, on a du mal à le situer du point de vue de la morale, du bien et du mal, des intérêts, des responsabilités.
Il faudra attendre la dernière scène du film pour voir naître la notion de conscience au sein d'un sous-groupe. Et pas forcément ceux chez qui on pouvait l'attendre. En défendant un groupe religieux ressemblant vaguement à des Amish, dirigé par un personnage on ne peut plus hypocrite (son "God never intended us to stay, he was only testing us" reste en travers de la gorge), la désillusion sera totale. L'opposition au rentier local se soldera dans un bain de sang révélateur, qui forcera le jeune homme à ouvrir les yeux sur la dure réalité et la diversité du mal.
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