La Prisonnière Espagnole reste un film étrange qui suscite généralement des réactions assez radicales de la part de ceux qui le regardent pour la première fois. Certains sont fascinés par le scénario, les dialogues et l’atmosphère assez particulière qui s’en dégagent, d’autres sont irrités par un jeu d’acteurs très typé et les clés d’une intrigue qui ne se dévoilent que peu ou pas du tout avant la fin.
Ce film repose avant tout sur un des scénarios les plus solides et machiavéliques dont a accouché le cinéma, il y a d’ailleurs probablement un peu de frime de la part de ceux qui affirment qu’on sent les choses arriver. Finalement le propos est assez simple, une entreprise paie un ingénieur pour mettre au point « le procédé », sensé rapporter beaucoup d’argent, mais le procédé disparaît du coffre-fort et l’ingénieur accusé. Il y a finalement peu de distance entre le point de départ et le point d’arrivée dans l’histoire de ce film, mais la succession d’événements et de rebondissements qui permettent d’aller de l’un à l’autre est absolument magistrale dans la manipulation du personnage principal et du spectateur.
David Mamet prend tout de même le temps d’installer confortablement ses personnages, de nous faire comprendre les tenants et les aboutissants de chacun et fini par lancer son personnage principal en pâture à une succession de deux ex machina dont on se dit qu’il ne se sortira pas indemne. L’histoire est montée à la manière des poupées gigognes, chaque élément que nous découvrons en révélant un nouveau. David Mamet parvient pourtant à ne pas égarer son spectateur, on est passionné lorsqu’on ne comprend rien et totalement bluffé lorsqu’on comprend que toute l’heure de film que l’on vient de voir n’était faite que de jeux de miroirs et de faux-semblants.
Ce film voit la rencontre formidable entre David Mamet et Campbell Scott, acteur injustement sous-exploité qui incarne ici un ingénieur très doué dans son domaine mais beaucoup moins dans les relations sociales et humaines. Il est touchant de naïveté, répond oui sans beaucoup réfléchir à la plupart des sollicitations et est particulièrement niais en présence d’une femme. Cela le rend touchant, Campbell Scott a ce regard perdu, hésitant qui exprime tant de choses mieux que des mots et qui le rend si parfait pour ce rôle. En face, Steve Martin a troqué l’humour pour un personnage de golden boy sûr de lui et tellement ravi d’avoir son remora comme faire-valoir. Rien d’étonnant à ce que ce genre de rôle lui convienne parfaitement puisqu’il semble qu’il colle à sa personnalité.
C’est peut-être le jeu d’acteur qui dérangera le plus, ajouté à des dialogues qui donnent une ambiance étrange à ce film, presque songeuse. On n’est pas dans l’atmosphère habituelle des films de complots comme La Firme,qui privilégient un rythme très enlevé et des scènes d’actions bien calibrées. Ici il n’y a aucune scène d’action, aucun coup de feu n’est tiré. David Mamet laisse à chacun le temps d’analyser ce que l’on voit dans l’espoir que le spectateur puisse comprendre seul. Il faut souligner l’intérêt qu’il y a à faire attention à chaque image, à chaque dialogue dès le début du film pour tenter de disséquer le vrai du faux. Même si David Mamet explique tout à la fin, il est intéressant de ramasser les indices qu’il laisse tout au long de l’histoire, de jouer les enquêteurs et éventuellement d’avoir la satisfaction de comprendre seuls.
La Prisonnière Espagnole reste une des plus belles réussites de David Mamet, réalisateur qui soigne ici un scénario écrit de ses mains. Il aime surprendre et faire appel à la capacité de raisonnement de chacun par des rebondissements scientifiquement dosés. Sa rencontre avec Campbell Scott reste une des plus belles de sa carrière et engendre peut-être le film de complot le plus fin, le plus racé et le plus intelligent du cinéma alors que, même à la toute fin du film, on ne sait toujours pas ce qu’est ce fameux « procédé « , bien qu’on apprenne tout de même ce qu’est cette Prisonnière Espagnole.
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